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Grand Angle

Chronique du Dr Lahna : Le handicap fabriqué

En 2012, Khadija a décidé de créer une association pour venir en aide aux handicapés dans sa région. C’est là qu’elle a rencontré des mamans analphabètes et perdues, des familles déchirées et des souffrances sans fin. Toutes ces femmes ont accouché dans des structures de santé publique avec des récits différents mais qui se recoupent bien.

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Dans les régions reculées du Maroc, 70% de la population naîtrait avec des infirmités qui pourraient être évitées si les grossesses et les accouchements étaient mieux pris en charge. / DR
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«La salle d’accouchement fabrique du handicap.» C’est avec cette sentence que Khadija a terminé son allocution sur le handicap provoqué par les accouchements. La quarantaine de sages-femmes qui venaient d’assister à une démonstration pratique de la réanimation néo-natale, regardaient sans broncher la présidente de l’association Wlidatna pour les handicapés d’Azrou.

Ce n’est pas qu’elles n’avaient pas envie de répondre, ni de se défiler en cherchant des excuses au manquement endémique du travail soigné en salle de naissance. Mais en fait, Khadija, mère d’une petite fille handicapée à cause d’un retard de prise en charge adéquate à sa naissance, côtoie au quotidien des pauvres mamans du Moyen Atlas, en souffrance permanente à cause du handicap de leurs enfants. 

Khadija parle de son accouchement, dans une clinique privée s’il vous plaît, de l’absence du pédiatre sur place, de l’accueil désastreux par un agent de santé (infirmière ? sage-femme ? nurse ?) qui n’avait aucune notion de réanimation et qui, face à la panique à la vue d’un nouveau-né inerte, a passé 15 mn à le stimuler en le frappant sur le dos, les fesses et les jambes.

Des frais qui n’en finissent pas

Khadija parle de la petite qu’on lui a remise en lui disant qu’elle se portait bien (dissimulation et incompétence) et, qu’une fois à la maison, ne cessait de pleurer et de commencer à montrer les stigmates d’une paralysie de la moitié de son corps. De pédiatre en pédiatre et d’examen en examen, on a fait comprendre à la famille que la petite restera handicapée. Alors vint le long parcours dans les centres de rééducation et chez les kinésithérapeutes, des frais qui n’en finissent pas, de corsets, de chaise spéciale, de façon de tenir l’enfant, celle de l’alimenter, etc. 

En 2012, Khadija a décidé de créer une association pour venir en aide aux handicapés dans sa région. C’est là qu’elle a rencontré des mamans analphabètes et perdues, des familles déchirées et des souffrances sans fin. Toutes ces femmes ont accouché dans des structures de santé publique avec des récits différents mais qui se recoupent bien. Il s’agissait à chaque fois d’un accouchement difficile et d’un retard de prise en charge par négligence ou incompétence, souvent les deux. La fille de Khadija a fini par décéder à l’âge de 5 ans et demi, mais cela n’a pas entamé la volonté de cette femme que rien n’avait préparé à embrasser cette cause. Comme elle le dit elle-même : «Avant ma fille je faisais du théâtre et de la mise en scène, me voilà parachutée dans un domaine qui m’a été imposé par le destin.» 

Le récit glaçant de Khadija et les quelques vidéos des enfants atteints de handicaps suite à l’asphyxie néonatale, ont fini par arracher des larmes à toute l’assistance. Des larmes de colère, ou peut-être celles du regret oublié ou d’une culpabilité mise en sourdine… 

L’arme du savoir et du savoir-faire

Aucune importance n’est donnée par le système de santé reproductive au sauvetage des nouveau-nés souffrants. On a privilégié l’éparpillement des petites maternités – une proximité qui répond aux impératifs électoraux et populistes – à l'efficacité d’une part ; à l’absence quasi-systématique du monitoring fœtal dans les salles d’accouchements d’autre part. Cet appareil n’est plus un luxe mais une nécessité pour dépister les souffrances fœtales et permettre à l’équipe d’agir à temps pour sauver le nouveau-né, sa vie et son cerveau.

Le problème encore une fois, ce n’est pas le coût du monitoring, qui ne dépasse pas les 2 000 euros et peut durer des années entre des mains consciencieuses. Justement, c’est de la conscience qu’il s’agit et ceci demande du temps, des efforts de science et  de persuasion. C’est ce que je fais par mon apprentissage des techniques d’obstétrique d’urgence en parcourant tout le royaume. Face à cette injustice et à d’autres causes orphelines parce que ça n’intéresse pas grand monde, je lutte avec la meilleure arme que l’humain possède : celle du savoir et du savoir-faire.

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