Chronique du Dr Lahna : Gare au lait artificiel

Tout le monde le sait et c’est une évidence : l’allaitement maternel est sans commune mesure avec le lait artificiel. Tout le monde sait également que la majorité des foyers marocains sont endettés et ont du mal à joindre les deux bouts.

Et pourtant, la consommation de lait artificiel dépasse les 70% selon les études et les chiffres de consommation des boîtes de lait des laboratoires.

Des agissements comme si c’était une banalité

Je ne parle pas ici des femmes qui ont des difficultés à allaiter, qui sont infectées ou malades. Je ne parle pas non plus des femmes qui ont les moyens et qui ont choisi en connaissance de cause de ne pas donner le sein pour une raison personnelle. Je parle des mamans du peuple qui accouchent plus ou moins correctement dans les structures hospitalières et ne se voient pas du tout accompagnées dans l’allaitement faute d’auxiliaires, de puéricultrices dans les services et d’effectifs suffisants de sages-femmes. Par contre, ces femmes ont une ordonnance sur laquelle figure le nom du lait le plus offrant du moment.

Pour justifier cette corruption à peine voilée et qui nuit gravement à la santé de générations de Marocains, j’ai appris que les ordonnances sont photographiées quand le lait a été acheté et envoyées par WhatsApp au représentant du laboratoire, prouvant ainsi la loyauté du gynécologue ou de la sage-femme qui ont commis ce forfait. D’autres plus zélés et plus abjects prennent carrément en photo la pauvre maman avec sa boîte de lait. On m’a raconté des agissements comme si c’était une banalité. J’en étais tout retourné.

Quand on sait ce que provoque le lait artificiel comme inconvénients avec des études randomisées et sur de grands échantillons, ces attitudes agressives, non déontologiques et passibles de poursuites sont choquantes. En effet, le lait artificiel peut provoquer du diabète, des maladies métaboliques et plusieurs allergies dont l’asthme. La privation du lait maternel peut provoquer des saignements secondaires chez la maman à cause de l’absence de sécrétion d’une hormone hypophysaire nommée cytosine, et qui est justement stimulée par l’allaitement. Cette privation coupe aussi un lien affectif très important entre la mère et son nouveau-né, prive ce dernier de nutriments incomparables et qu’aucun laboratoire n’est en mesure de fabriquer, sans parler du colostrum et des facteurs immunitaires.

Désastre sociétal

Quant au budget alloué au lait artificiel pendant les deux premières années de vie, il est tout simplement ahurissant et déséquilibrant pour les familles pauvres et modestes.

Si vous voyez demain des mamans errantes dans les Carrefours des grandes villes, nourrissons sur le dos et boîte de lait à la main, vous aurez une petite idée des fabricants de ce désastre sociétal.

On peut bien évidement lancer au ministère de la Santé une semaine annuelle de sensibilisation sur les intérêts du lait maternel (et, comble de la dérision, sponsorisée par un lait artificiel), cela ne changera absolument rien à la donne commerciale qui agit dans le pays avec des méthodes que je m’abstiens de qualifier pour éviter la vulgarité.

Et en Occident, après avoir expérimenté et subi les affres de l’éloignement de la nature et du lait maternel, certains se mobilisent pour inciter les mamans à allaiter à coups de publicité, d’accompagnements et de congés payés. Les maternités françaises se concurrencent actuellement pour le label «maternité amie des bébés» en affichant les pourcentages d’allaitement maternel. Sur les affiches d’un certain nombre d’entre elles, on pourrait lire des incitations à l’allaitement pendant les deux premières années de la vie. Ça vous rappelle quelque chose ?