En France, les rapports ministériels ou associatifs font le constat de discriminations à l’encontre de porteurs de noms à consonnance maghrébine ou africaine, en matière d’accès au logement comme à l’emploi pour nombre de migrants. Publiée par l’Institut de recherche sur l’avenir du travail (IZA), une récente étude sur les discriminations antimusulmans en France démontre que les exclusions dans le monde du travail ciblent, par extension, celles et ceux issus de «culture musulmane».
«Quand la religiosité constitue une pénalité pour les musulmans, elle fonctionne comme un avantage pour les chrétiens : leur taux de retours augmente lorsqu’ils sont religieux», écrit la professeure d’université Marie-Anne Valfort, auteure de l’étude «Anti-Muslim Discrimination in France : Evidence from a Field Experiment», citée par Slate.
Dans la peau d’un candidat «musulman»
Parue en mars 2018, l’étude de Marie-Anne Valfort est basée sur un échantillon de 3 331 candidatures fictives. Celles-ci ont été envoyées en réponse à des offres d’emploi, afin de mesurer l’impact de critères officieux sur les recrutements, tels que l’origine et l’identification des candidats comme étant de facto de «culture musulmane» ou «chrétienne».
Dans ce sens et sans forcément avoir de pratique religieuse régulière, les candidats laïcs mais reconnus comme éventuellement musulmans ont enregistré un taux de réponse de 12,9%, tandis que ceux ramenés à leurs origines chrétiennes obtiennent 16,1%.
Citée par Slate, l’auteure de l’étude explique sa démarche : «Pour identifier la discrimination antimusulmane, cet article compare les taux de rappel des candidats fictifs de culture musulmane et chrétienne qui sont identiques à tous points de vue, excepté la religion dans laquelle ils ont grandi (islam versus christianisme). Surtout, pour que la religion soit seule en jeu, la nationalité d’origine des candidats est maintenue constante : ils ont émigré d’un pays largement connu pour son pluralisme religieux et est utilisée ici pour la première fois afin d’identifier la discrimination antimusulmane : le Liban.»
Un critère constant chez beaucoup d’employeurs
En 2015, l’économiste et enseignante-chercheuse à l’Université Paris I publiait une précédente étude avec l’Institut Montaigne, traitant de la même problématique. Comparée à celle parue en mars 2018, elle reste toujours d’actualité, dans la mesure où la situation ne s’est pas améliorée depuis.
En effet, «quand les musulmans pratiquants avaient en 2015 un taux de réponse de la part des employeurs de 10,4%, contre 20,8% pour les catholiques pratiquants, en 2017, l’écart s’est légèrement resserré, passant de 11,7% pour les premiers, à 18,4% pour les seconds», fait remarquer Slate sur la base de l’étude de 2018.
Plus loin, Marie-Anne Valfort indique que «le taux de rappel des femmes chrétiennes religieuses est 40% plus élevé que celui des femmes musulmanes religieuses, tandis que le taux de rappel des hommes chrétiens religieux est de quatre fois plus élevé que celui des musulmans pratiquants».
Les critères d’embauche au regard de l’«effet musulman»
Valfort fait savoir notamment que la différence de taux de rappel entre un candidat issu d’une communauté «majoritaire» et un autre d’un milieu «minoritaire» ne reflétait pas seulement les préférences des employeurs basant leur discrimination sur des convictions personnelles et subjectives. Elle traduit également un «effet musulman» basé sur une discrimination «partiale et localisée».
En 2015, la chercheuse indiquait que les recrutements via les réseaux sociaux ne permettaient pas réellement de limiter la discrimination à l’égard du «candidat minoritaire». Ces profils 2.0 véhiculent «généralement des informations plus riches que celles présentes dans le CV et la lettre de motivation, et sont donc plus susceptibles de révéler l’appartenance à un groupe minoritaire», notait la chercheuse. Par ailleurs, elle nuançait les avantages de ces usages :
«Les recruteurs exploitent ce complément d’information (…) Le candidat fictif Thomas Marvaux, dont le dossier de candidature est pourtant équivalent, mot pour mot, à celui de Stéphane Marcueil, présente un taux de réponse 40% supérieur.»
Cet écart s’explique par les différences d’information présentes sur le profil Facebook des candidats : «On y apprend que Thomas est né à Brive-la-Gaillarde et parle l’italien, mais que Stéphane est né à Marrakech et parle l’arabe.»
En 2018, les modèles de candidatures fictives comprenaient également des postulants identifiés étant juifs. Selon l’étude, leurs résultats restent très proches de ceux des chrétiens. Reprise par Slate, Marie-Anne Valfort met en contexte ces données, dans un pays où les questions d’ordre sécuritaire, identitaire et liées au terrorisme tiennent plus que jamais une grande place dans le débat public :
«Un consensus a émergé parmi les experts de l’islam radical en France et ailleurs, selon lequel la discrimination antimusulman opère comme un catalyseur dans le processus de radicalisation.»