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Grand Angle

Guerre du Rif : Une pétition appelle l’Espagne, la France, l’Allemagne et les Etats-Unis à assumer leurs responsabilités

Depuis mars dernier, le Centre de la mémoire commune pour la démocratie et la paix (CMCDP) a lancé une pétition relative à l’utilisation d’armes chimiques pendant la Guerre du Rif, menée contre les hommes d’Abdelkrim El Khattabi.

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Guerre du Rif / Ph. DR.
Temps de lecture: 4'

Les responsables de ce «crime contre l’humanité» doivent dévoiler les composantes des produits utilisés pendant la Guerre du Rif (1921 – 1927), probablement à l’origine des cancers largement répandus parmi la population de la région. C’est ainsi que le texte de la pétition lancée par le Centre de la mémoire commune pour la démocratie et la paix (CMCDP) appelle quatre pays à reconnaître leur rôle durant les bombardements ayant visé l’armée de l’émir Abdelkrim El Khattabi (1882 – 1963) ainsi que la population civile du Rif. Un appel qu’adresse le centre de droits humains à l’Espagne, la France, mais aussi à l’Allemagne et aux Etats-Unis.

«En adoptant cette résolution, le CMCDP veut s’adresser aux pays concernés et à la conscience internationale, pour leur rappeler les drames humains occasionnés par une guerre inéquitable où les armes employées étaient illégales», soulignent les rédacteurs de la pétition. Ils précisent également que «par cette initiative, le CMCDP fait écho aux récentes déclarations du ministre des Affaires étrangères et de la coopération espagnol et invite le gouvernement espagnol à revoir sa position sur ce dossier aussi bien sur le plan politique que juridique».

Des bases historiques et scientifiques

Contacté par Yabiladi, le président du CMCDP et coordinateur politique de cet appel, Abdeslam Bouteyeb, nous explique que les activités mensuelles du centre ont constitué l’espace de réflexion autour de cette initiative. En effet, celle-ci a été lancée à l’issue de la présentation du livre de l’historien Mustapha Merroun, Histoire secrète de la Guerre chimique contre les régions du Rif et Jbala de 1921 à 1927, dans le cadre des Rencontres de la rue Ibn Khaldoun organisées par le CMCDP. Ce livre constitue notamment une preuve historique de l’implication des quatre pays, nous indique Bouteyeb :

«Nous sommes convaincus que le problème ne consiste pas uniquement en la responsabilité de l’Espagne dans les bombardements chimiques de la guerre du Rif. Il y a celle de la France, de l’Allemagne et des Etats-Unis. En effet, le livre de M. Merroun démontre que ces Etats-là on tout autant eu un rôle dans l’utilisation de ces armes interdites par les conventions internationales, dans la mesure où les Etats-Unis ont assuré la logistique et l’Allemagne a fourni les matériaux et les matières premières pour fabriquer les armes utilisées.»

Ainsi, la pétition demande aux quatre pays de «définir quels sont ces matériaux ayant été employés, pour confirmer scientifiquement et de manière officielle le lien entre ces bombardements et le taux élevé de cancers très spécifiques dans la région du Rif, à savoir ceux de la gorge et thyroïdienne», nous explique notre interlocuteur.

Pour Abdeslam Bouteyeb, il s’agit là d’un devoir de mémoire et d’un exercice d’écriture de l’histoire :

«Il faut envisager une justice transitionnelle entre Etats, dans la mesure où il faut connaître la vérité, identifier les victimes ainsi que les responsabilités des uns et des autres. Cette question a même fait partie des revendications du Hirak, même s’il n’a malheureusement pas mené son combat là-dessus jusqu’au bout.»

Le CMCDP n’est pas à son premier appel pour définir dégâts et responsabilités dans les bombardements du Rif. Depuis plusieurs années, il appelle le voisin ibérique à assumer son rôle historique, mais ces efforts sont restés quasiment vains. Avec cette pétition, Abdeslam Bouteyeb espère que le sujet pourra enfin être abordé politiquement :

«Nous allons déposer cette pétition auprès des ambassadeurs des quatre pays et nous allons envoyer une lettre au Chef du gouvernement marocain.»

Un débat vieux de plusieurs décennies

Ancien président de l’Organisation marocaine des droits de l’Homme (OMDH), Mohamed Nachnach est coordinateur général de la pétition lancée par le CMCDP. Au sein de l’ONG dont il est membre-fondateur, le militant a maintes fois appelé les acteurs politiques du Maroc et des pays responsables des bombardements à se saisir du dossier.

«En tant qu’OMDH et jusqu’à aujourd’hui, nous avons toujours condamné l’utilisation des armes chimiques pendant la Guerre du Rif, ainsi que l’intervention de la France et de l’Allemagne qui ont fourni des armes. C’est une question qui ne concerne pas seulement l’OMDH, mais également le gouvernement marocain et la population du Rif.»

Au sein de l’OMDH, les activistes ont «tout autant alerté sur les chiffres ahurissants de cancers au Maroc, qui sont concentrés dans cette région-là. Les séquelles des armes chimiques ne s’effaceront qu’après plusieurs siècles», rappelle Dr Nachnach. Il souligne en outre que «la Convention de La Haye et de Genève et la Conférence internationale sur l’utilisation des armes chimiques interdisent ferment l’utilisation des armes chimiques, quel que soit le conflit».

Conscientiser les acteurs internationaux, mais aussi les parlementaires marocains

«Cette question a été posée au sein du parlement espagnol, où des députés de gauche ont demandé la création d’une commission pour l’étudier», nous rappelle encore le coordinateur de la pétition.

«Mais c’est un sujet qui n’est jamais traité par le gouvernement espagnol central, qu’il soit socialiste ou de droite. Dernièrement, le ministre espagnol des Affaires étrangères a fait allusion à la possibilité de favoriser la recherche dans ce domaine. Des intellectuels et des universitaires ibériques s’en saisissent.»

Une occasion propice pour prendre au mot l’exécutif ibérique, encore faut-il que son homologue marocain s’en saisisse aussi.

Plus qu’une campagne de lobbying, Mohamed Nachnach considère cette pétition comme le lancement d’une dynamique, qui espère conscientiser les acteurs politiques du pays sur leur rôle de se saisir d’un des dossiers les plus délicats de l’histoire du Maroc : «Nous espérons que la classe politique marocaine bougera enfin.» 

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