Menu

Grand Angle

Au Maroc, tous héritiers de nos inégalités [Edito]

Sommes-nous condamnés à reproduire les inégalités héritées ? Testament pour une société.

Publié
Photo d'illustration / DR
Temps de lecture: 3'

Pourquoi maintenir un système d’héritage profondément injuste, où les frères du défunt viennent ponctionner les biens laissés à la veuve et / ou les filles s’il n’a pas de fils ? On vous rétorquera pour couper court à tout débat : c’est dans la religion, c’est la tradition !

Coupons alors la main des voleurs et appliquons les autres châtiments corporels prévus dans la chariaa, si c’est la religion et la tradition. Les yeux des chantres du ta3ssib, les yeux écarquillés se demandent : il est fou celui-là, il veut nous ramener à l’âge de pierre ?

Il semblerait que la violence physique en guise de châtiment judiciaire soit beaucoup moins dans l’air du temps que les violences symboliques que nous infligeons à nos filles et à nos femmes.

Je continue ma provocation : «La religion prescrit au mari de subvenir intégralement aux besoins du foyer et laisser la rémunération ; l’usage des biens et l’argent de l’épouse restera à sa discrétion». S’en est trop pour mes interlocuteurs qui partiront siroter leur café à une autre table dans une terrasse bondée d’hommes en plein milieu de l’après-midi, un jour de semaine.

Ainsi s’appliquent les préceptes de la religion à notre convenance, souple quand cela nous conforte dans nos choix, rigide quand on risque d’y perdre quelques privilèges.

Quand le beauf profite du labeur de la veuve

Quel argument pourrait-on encore opposer à une réforme du mode d’héritage, alors que la société est dans un processus de sécularisation assumée où les femmes analphabètes comme les plus diplômées participent activement aux revenus des ménages ?

Cette injustice en héritage a des implications bien au-delà de la répartition financière en cas du décès du mari sans fils. Elle est un des éléments qui participe à notre système familial inégalitaire tel que théorisé par Emmanuel Todd. Il conditionne notre vision de la femme, notre inconscient social, et même nos choix politiques.

Ainsi, l’inégalité devient un système admis au sein de notre société, c’est ce qui est prescrit en Islam, et ce qui est écrit dans notre destinée (mektoub). Nous rejoignons ainsi la doctrine de prédestination très présente dans le protestantisme. Mais malgré la modernisation de notre économie, de nos modes de consommation et de notre société (même le système de propriété se libère des traditions pour passer au cadastre et au titre foncier), personne n’a voulu revoir le système d’héritage qui perpétue un déterminisme inégalitaire au Maroc.

Résignation face aux injustices infligées par les dominants, et violences proportionnelles aux personnes jugées inférieures (notamment les femmes), telle est la dialectique de notre système qui broie les plus faibles dans l’indifférence générale. Tant qu’il y a plus misérable que nous, nous nous consolons de notre misère par un «hamdoullah».

La préservation des privilèges

En même temps, cette modernité aux richesses ostentatoires nous pousse à désirer le mode de vie de la famille des beaux quartiers, et même du jeune cadre dynamique de Manhattan ou de la City. Les revendications sociales se font entendre ici et là sans pour autant résonner en écho. Le système inégalitaire, profondément ancré dans nos inconscients et s’exprimant à l’échelle de la famille, est l’un des principaux obstacles pour le passage à un système social plus inclusif. Alors que nous aimerions collectivement que la voiture Maroc avance dès qu’on met le pied sur la pédale d’accélérateur, nous maintenons individuellement le frein à main tiré.

Voilà comment certains blocages mentaux peuvent handicaper toute une société. Tant que nous continuerons individuellement à défendre l’injustice de l’héritage, nous perpétuons la reproduction d’un système social qui broie les fameux 99%. Contrairement aux idées reçues, le ta3ssib n’est pas combattu par une élite hors sol. C’est en réalité le meilleur atout des 1%.

Osons la justice en héritage pour que demain infusent les principes d’égalité dans notre société. Et pourquoi pas espérer dans le futur une véritable fiscalisation du patrimoine transmis au sein des familles les plus aisées, pour une meilleure redistribution ? 

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com