Ce mois-ci dans la série dédiée aux réfugiés installés au Maroc, Yabiladi a rencontré trois maliens dans les locaux du Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) à Rabat. Tous les trois sont arrivés au royaume alors qu’ils étaient mineurs. Ils représentent une jeunesse brisée, fuyant un Mali ravagé par le terrorisme, l’insécurité et la précarité. Dans la première partie, Youssouf* a livré un témoignage poignant sur sa bataille quotidienne depuis qu’il a fui Gao à cause du terrorisme. Dans cette deuxième partie, Jack* et Maryam*, âgés respectivement de 22 et 18 ans témoignent.
L’un est réfugié et l’autre est demandeuse d’asile. Leur témoignage démontre des nombreuses similitudes avec les parcours de nombreux réfugiés que Yabiladi a rencontré lors de l’année écoulée, une difficulté d’intégration et des traumatismes réels.
Jack a la carrure imposante, les traits marqués par son histoire compliquée. Au premier regard, on pourrait penser qu’il a une dizaine d’années de plus, sans doute puisque sa maturité a pris le pas sur son jeune âge.
Le Malien est arrivé au Maroc en 2013 après qu’un groupe de gens armés avec des fusils et cagoulés ont débarqué dans sa maison, à Diabaly dans le sud du Mali. «Ils sont entrés brusquement dans la maison et ma famille furent attachés», raconte à Yabiladi le réfugié de 22 ans. Lui était dans la cuisine, il a assisté à la scène par une petite fenêtre, tétanisé de peur. Soudainement, il sort de la maison et se met à courir «jusqu’à en perdre haleine». Il savait que ces «agresseurs» allaient revenir pour lui, donc il décide de quitter le Mali, à travers la frontière. Il arrive à Oujda après moult aventures.
«Oujda ce n’était pas facile non plus, on faisait la manche pour subvenir à notre quotidien, pour avoir un peu d’argent. Comme vous le voyez dans les rues, les enfants mendient dans les carrefours. Hamdollah, les Marocains me traitaient bien, m’aidaient. C’est eux qui m’ont permis de payer le transport pour venir ici à Rabat.»
Eldorado européen
Après avoir obtenu son statut de réfugié de la part du HCR, Jack continue de faire face à des difficultés, mais se fait aider par les Marocains qui rencontrent son chemin. «Je n’avais rien, souvent je dormais dans les maisons des Marocains quand je suis arrivé à Rabat», confie le jeune homme de 22 ans. Il a dû dormir dans la rue parfois et faisait de son mieux pour pouvoir subvenir à ses besoins, comme «vendre des légumes dans les marchés ou bien porter les sacs des acheteurs». Il confie, avec une infinie tristesse dans la voix : «Ici ce n’est pas aussi facile d’avoir du travail».
Jack est au Maroc mais il rêve de l’eldorado européen. Il espérait en effet pouvoir traverser vers l’Espagne. Désormais il est installé dans le royaume mais garde un optimisme sans pareil. Il souffle avec un brin de philosophie : «J’ai compris que dans la vie il y a souvent le bonheur et le malheur. Il y a aussi la joie, les choses sont toujours éphémères et ne peuvent pas durer aussi longtemps, parce Allah Akbar (Dieu est grand, ndlr). Chaque chose arrive à un moment donné.»
Depuis qu’il est arrivé dans le pays le jeune homme de 22 ans n’a pas de nouvelles de sa famille. «Je ne sais pas s’ils sont déjà morts et enterrés ou s’ils sont vivants», conclut-il.
Maltraitance et traite humaine
Maryam arrive ensuite, toute frêle et une fragilité sans nom transparait dans ses traits. Il faut beaucoup de temps à la jeune femme de 18 ans pour qu’elle se livre sur un parcours marqué par la traite humaine imposé par sa propre tante, sa seule famille. Sa voix est inaudible, ses mots saccadés quand elle parle des épreuves qui l’ont traumatisée. Même si elle est au Maroc, le souvenir de sa tante et du mari de cette dernière la terrorise. «Je suis venue au Maroc parce que je n’ai personne maintenant. J’ai quitté le pays à cause de ma tante, celle qui m’a élevée», confie la demandeuse d’asile d’une voix presque enfantine. Avant d’arriver au Maroc, Maryam a travaillé en Arabie saoudite, alors qu’elle était à peine âgée de 16/17 ans.
Frappée par sa tante et son oncle durant toute sa vie, elle subit sans sourciller, jusqu’au jour de trop. «Ma tante me faisait du mal. Quand j’ai quitté le Mali c’est moi qui lui ai fait du mal», confie-t-elle avant d’éclater en sanglots incontrôlables. Le jour où sa tante était censée accoucher, elle commence à avoir des douleurs.
Maryam n’appelle pas l’ambulance, sa manière à elle inconsciemment de se venger de la souffrance qu’elle a enduré toute sa vie. «Je suis sortie dehors et j’ai pensé à tout ce qu’elle m’a fait, comment elle a abusé de moi. Je la vois souffrir, moi aussi je me suis dit je ne vais pas l’aider. Jusqu’à ce que son mari appelle. Elle a perdu le bébé parce que je n’ai pas appelé le taxi.»
Culpabilité
Mais la jeune femme de 18 ans culpabilise depuis. Quand elle évoque cette histoire, les larmes ne cessent de couler sur son visage innocent. «Elle me frappait, elle maltraitait et je ne mangeais pas bien», ajoute-t-elle d’une toute petite voix.
Maryam fuit de chez elle, de peur des représailles. «J’ai peur que son mari me retrouve. J’ai peur de lui plus que sa femme, c’est pour ça que je me suis enfuie aussi», déclare-t-elle tétanisée. Elle contacte l’homme qui l’a fait travailler en Arabie saoudite qui lui conseille de venir au Maroc vu qu’il n’y a pas de visa entre les deux pays. Elle achète un billet d’avion avec ses économies «trois mois de salaire», murmure-t-elle.
Depuis son arrivée au Maroc en août 2017, la Fondation Orient Occident à Rabat a logé la jeune femme, la forme et lui donne un peu d’argent pour qu’elle puisse survivre. «Je ne sors pas, je pars à la fondation après je rentre à la maison», ajoute Maryam.
Une fois questionnée sur son rêve, le visage de la demandeuse d’asile se fend d’un sourire : «Je veux aller à l’école, apprendre l’arabe, lire le coran en arabe, et travailler aussi.»
*Les prénoms ont été changés pour préserver l'anonymat des personnes interrogées.