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Grand Angle

Maroc : L'industrie locale profite-t-elle des investissement dans le secteur automobile ?

L’équipementier espagnol Gestamp va investir avec le Marocain Tuyauto dans une usine de composants métalliques pour le secteur automobile. L’industrie automobile à capitaux marocains reste cependant très limitée en raison du choix du gouvernement de faciliter, justement, l'implantation des multinationales de la sous-traitance automobile.

 

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Emboutissage chez Tuyauto (c)Tuyauto
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Mardi 6 février 2018, la grande nouvelle, ce n’était pas l’installation d’un équipementier supplémentaire – l’Espagnol Gestamp – au Maroc, mais plutôt sa «joint-venture» avec une entreprise marocaine, Tuyauto. L’usine de composants métalliques hautement techniques employant 120 personnes, qui sera construite à Kenitra d’ici l’an prochain, sera en effet détenue par une co-entreprise au capital partagé par les deux sociétés.

Ainsi, ce n’est pas simplement Gestamp qui s’installe au Maroc, mais Tuyauto, petite entreprise marocaine fondée en 1960 qui investit et se développe grâce à la dynamique industrielle provoquée par l’installation de l’usine Renault à Tanger Med et de PSA à Kenitra. «Initialement leader sur le marché de la rechange au Maroc, Tuyauto a orienté son positionnement sur le marché de la première monte et a réussi à se positionner comme l'équipementier principal des systèmes d'échappement de l'usine Renault Somaca à Casablanca», indique l’entreprise sur son site.

Avec l’implantation de Renault Tanger, elle avait initialement perdu en valeur ajoutée puisqu’elle ne livrait plus à l’usine que les silencieux d’échappement. Tuyauto a cependant «vécu une véritable montée en compétences avec la maîtrise d’une nouvelle activité pour elle, la production de pièces métalliques embouties de petite taille qu’elle livre dorénavant à Renault», indique l’étude «l’Emergence d’un pôle automobile à Tanger», publiée en avril 2016 dans Les Cahiers du GRHETA (Groupe de recherche en économie théorique et appliquée de l’Université de Bordeaux) par les chercheurs Nadia Benabdeljlil, de l’Ecole Mohammedia des ingénieurs à Rabat, Yannick Lung et Alain Piveteau.

Induver avant Tuyauto

Tuyauto est la deuxième entreprise marocaine à réaliser un investissement en joint-venture avec un grand équipementier mondial. En mars dernier, Induver, fabriquant marocain de parebrises, avait déjà posé la première pierre de l’usine de verre automobile AGC Automotive Induver Morocco, fruit d’un co-investissement avec AGC Automotive, filiale du Japonais Asahi Glass, l’un des leaders mondiaux du verre automobile. Ensemble, les deux entreprises vont investir 1,183 milliard de dirhams pour produire 1,1 million de carsets par an et générer un chiffre d’affaires à l’export d’un milliard de dirhams. L’usine devrait employer à terme 625 personnes.

Ces deux joint-ventures sont les deux premiers succès du programme d’aide à la mise à niveau des équipementiers marocains imaginé par le ministère du Commerce et de l’Industrie, les représentants des équipementiers marocains, et Renault. «Au sein de la Somaca (Société marocaine de construction automobile, ndlr), un bureau d’intégration locale est mis en place (achats, logistique, ingénierie), chargé de repérer parmi les fournisseurs habituels de la société les plus forts potentiels pour Renault Tanger afin de les accompagner dans l’amélioration de leur performance technologique. La cellule travaille aussi les possibilités de partenariats entre fournisseurs locaux et internationaux», expliquent les auteurs de l’étude sur l’émergence d’un pôle automobile à Tanger.

Trois joint-ventures avaient ainsi été imaginés : le sous-traitant automobile français GMD avec Ifplast et, initialement, le Français Saint-Gobain avec Induver et l’Allemand Eberspacher avec Tuyauto. Ils ne se sont finalement pas faits comme prévus mais Induver et Tuyauto – elles sont les seules entreprises marocaines à fournir directement le constructeur français sur ses 24 fournisseurs implantés au Maroc en 2015 – ont pu trouver d’autres partenaires.

Le JV un impératif de survie

Ces deux co-entreprises sont donc synonymes d’une montée en compétences et en taille pour les deux sociétés marocaines, mais elles constituent également un impératif de survie face à la concurrence provoquée par l’installation de grands équipementiers dans le sillage de Renault et Tanger. Induver, «fournisseur traditionnel de parebrises de la Somaca, était sorti du panel des équipementiers de Renault Tanger après le démarrage de la seconde ligne de production, au profit de Saint-Gobain qui s’est installé à Kenitra en 2014, maîtrisant l’évolution technique des parebrises sur les nouveaux modèles de la gamme Entry (passage des pare-brise plats aux pare-brise bombés), et qui a besoin de volumes pour réussir son implantation au Maroc», soulignent l’étude. Ainsi, Induver est revenu dans la course, en mars, seulement grâce à sa co-entreprise avec AGC Automotive. Seul, il ne pouvait résister.

Cette situation de mise en concurrence de petites entreprises marocaines avec les nouvelles usines marocaines des équipementiers mondiaux est la conséquence directe d’un choix du constructeur, mais également du gouvernement marocain au moment de l’installation de Renault à Tanger. «Dès l’origine du projet, devant la faible densité de ces fournisseurs locaux, Renault envisage la possibilité de faire venir sur place ses équipementiers. Très rapidement, la logique d’attractivité l’emporte sur la logique de montée en compétences des producteurs installés localement, à l’opposé des attentes initiales du gouvernement marocain. Tant pour l’État marocain que pour le constructeur, ce compromis productif semble être le seul à pouvoir répondre efficacement aux exigences de délais, de qualité et de coûts de la production d’un véhicule Entry», analyse encore le document.

Les emplois avant tout

Les équipementiers mondiaux incités par leur donneur d’ordre Renault à venir s’installer au Maroc pour profiter d’une main d’œuvre à bas coût créent donc des emplois. En facilitant leur installation par des mesures fiscales avantageuses, le gouvernement a ainsi privilégié la création d’emplois peu qualifiés au développement de l’industrie automobile marocaine. Moulay Hafid Elalamy ne s’en était pas caché lors d’une conférence sur l’Emergence du Maroc organisée par le ministère de l’Economie et des finances, en juin 2016. Répondant à l’attaque de Meryem Bensalah-Chaqroun, présidente de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), qui venait de lui lancer qu’«aucun pays à travers l’histoire de l’industrie n’a bâti une économie pérenne sur des bas salaires», il avait déclaré : 

«Je persiste et je signe: moi, je ramasse tout ce qui est positif pour le Maroc. Moi, je prends tous les emplois. Le Maroc doit prendre tout ce qui passe.»

Ainsi, si le ministre continue de se vanter d’un taux d’intégration locale de 50%, il ne faut pas y voir la mesure de l’impact positif des investissements étrangers dans l’automobile sur le Maroc, mais bien seulement le taux d’approvisionnement au Maroc de Renault et seulement de Renault. En effet, si la moitié de ses fournisseurs sont installés au Maroc, eux-mêmes achètent 90% des pièces et des matériaux dont ils ont besoin à l’étranger. L’impact des investissements étrangers, et de l’explosion des exportations automobiles au Maroc, est donc relativement limité et explique que le secteur ne soit pas devenu une «industrie industrialisante», c’est-à-dire qu’il n’ait pas eu pour effet d’entraîner avec lui le développement de tout le secteur industriel. 

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