La polémique sur la protection des témoins et dénonciateurs de délits de corruption soulevée depuis plusieurs mois a peut-être trouvé une issue. Présenté depuis début juin dernier, le projet de loi N°37-10 a été adopté par le parlement en 5 semaines. Cette nouvelle loi prévoit plusieurs mesures afin de garantir aux témoins, dénonciateurs et experts leur sécurité et intégrité physique ainsi que celles de leurs familles. Usage de faux nom, de fausse adresse, la possibilité de déformer la voix du témoin s’il y a besoin de le confronter à l’accusé et même une escorte rapprochée dans certains cas sont prévus. Une ligne téléphonique spéciale reliant directement le témoin à la police judiciaire est mise à disposition en cas d’urgence ou de danger, et une assistance psychologique est assurée.
Transparency Maroc critique le fond et la forme
Quand le contenu du texte a été dévoilé, le secrétariat général de Transparency Maroc n’avait pas tardé à publier un communiqué dans lequel il dénonçait «l’insuffisance» du texte et la fausseté de son énoncé. Selon cette ONG, qui lutte contre la corruption depuis sa création en 1996, «le texte ne correspond pas aux besoins. Il n’a pas comme finalité de protéger les témoins de délinquance en col blanc, mais plutôt les dénonciateurs de crimes relatifs au terrorisme, blanchiment d’argent ou trafic de drogues qui sont caractérisés par la violence» comme nous l'explique son secrétaire général Rachid Filali Meknassi. En effet, ce texte de loi ne protège pas les dénonciations de délits de corruption au sein des administrations par exemple, ou les témoins observent le silence par crainte de représailles puisque leur identité est publique. Car pour bénéficier de la protection assurée par la loi N°37-10, le témoin devrait justifier de menaces de mort.
D’un autre côté, Transparency estime que «l’attribution de larges pouvoirs discrétionnaires au parquet et au tribunal pour décider […] des modalités par lesquelles sera conservée son identité [du témoin, ndlr] durant la procédure d’enquête et de jugement, constitue un risque d’atteinte aux droits de la défense».
ICPC vs Transparency Maroc
L’Instance Centrale de Prévention de la Corruption avait rétorqué aux critiques de Transparency que l'association avait elle-même participé aux ateliers de préparation de la plateforme pour la formulation de cette loi. «Transparency a été représentée par deux de ses membres [...] D’ailleurs au sein même de l’Instance, il y a huit à dix membres de cette ONG» déclarait un cadre de l’ICPC à nos confrères d’Au Fait. Indigné, Rachid Filali Meknassi avance que «l’ICPC a organisé un séminaire en février sur la protection des témoins et des experts ont formulé des observations [concernant l’élaboration éventuelle d’un texte de loi]. Ensuite, il n’y a eu ni PV du séminaire, ni rien jusqu’à ce qu’on apprenne que le projet de loi est passé en une semaine […] parce que le Roi a rencontré le président (de l’ICPC Abdessalam Aboudrar ) et qu’ils ont estimé qu’il y avait urgence». Pour le secrétaire général de Transparency, les cadres de l’ICPC devraient avoir «le courage de dire : «nous n’avons pas de contre-arguments, on garde ce texte et on en fait un autre» pour protéger les témoins de délits en col blanc.
Les deux parties campent sur leurs positions, pendant que la nouvelle loi n’attend plus que sa parution dans le bulletin officiel pour être effective d’ici deux ou trois mois.