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Interview

Sidi Brahim Tidjani : «Le soufisme c'est l'ouverture d'esprit, sinon comment se rapprocher de Dieu ?» [1/2]

Sidi Brahim Tidjani, président du cercle Souffles à Fès, est le descendant direct du Cheikh Sidi Ahmed Tidjani, le fondateur de la confrérie soufie éponyme. Yabiladi l’a rencontré autour d’un verre de thé. Entretien avec un héritier passionné.

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Cherif Sidi Brahim Tidjani / DR
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La trentaine, Sidi Brahim, cinquième petit-fils du Cheikh, sillonne le monde à la rencontre des adeptes de sa confrérie. Il était, du 11 au 14 janvier, l’invité de la troisième édition de «Fez Gathering» pour parler du soufisme, de sa tradition et de ses rituels. 

En deux mots, qu’est-ce que la Tariqa Tidjania ?

Dans l’Islam, le soufisme est dans la pratique : chaque confrérie a son dikr (invocation, ndlr), qui à l’origine s’appuie sur nadr, une promesse que tu fais à Dieu. Dans le soufisme, la promesse qu’on fait à Dieu de faire des adkars, comme salat ala nabi, la illaha illa allah, etc. Chaque Tariqa a ses prières en sus des rites communs à tous les musulmans. Elles confortent l’amour de Dieu et de son prophète et relèvent ainsi de l’astreinte. A titre d'exemple, certains font la promesse de faire un don après avoir réussi dans quelque chose. Selon la charia, il s’agit d’un fard (obligation, ndlr). Aussi, lorsqu’on s’engage dans une confrérie, on fait le serment du dikr, avec Dieu. Dans la Tariqa Tidjania, c'est pour la vie.

Quelle est son origine historique ?

La Tidjania a débuté à Aïn Madhi, aux confins de l'Algérie où est né Sidi Ahmed Tidjani, un descendant du prophète, dont le père était originaire du sud marocain. Le chérif a rallié Fès pour étudier à l'université Al Qaraouiyine. Il y a aussi enseigné par la suite. C’est de cette installation qu’ont été établis les premiers fondements de la Zaouia au 18ème siècle. Grand voyageur, il est toutefois revenu s’établir dans la cité spirituelle où l’on peut encore visiter aujourd’hui son tombeau. A l’époque, l’Algérie était sous domination ottomane, ce qui l’a poussé à s’exiler pour chercher protection auprès du sultan Moulay Soulaimane El Alaoui connu pour son obédience au wahhabisme. Sa rencontre avec Sidi Ahmed le fera entrer dans la Tariqa et embrasser le soufisme.

Comment expliquez-vous l’expansion de la Tariqa Tidjania en Afrique subsaharienne, au Maroc, et ailleurs, comptant ainsi des millions d’adeptes dans le monde ?

Hormis le côté religieux, puisqu’il constitue le fondement de chaque confrérie, la Tidjania est la plus répandue au monde, avec plus de 250 millions d’adeptes. Elle est présente en Afrique, en Asie, spécialement en Malaisie et en Indonésie où réside une forte communauté, aux Etats-Unis avec la conversion massive des Noirs américains et en Europe par la migration des Africains. Ici au Maroc, la Tidjania est, depuis trois siècles, la plus répandue, surtout à Fès, où la plupart des familles de la cité étaient originellement liées à cette confrérie.

Le secret de son expansion réside dans son adaptation aux cultures locales. C’est une confrérie de migration qui n’a pas d’origine nationaliste, ce qui est de même pour l’Islam, qui dans le vécu de ses fidèles, sur le plan social, est différend d’une contrée à une autre: l’Islam du Pakistan n'est pas celui du Maroc, ni celui du Sénégal, ni celui de la Turquie…

Qu’est-ce qui caractérise la Tidjania des autres confréries soufies ?

Quand on évoque la Tidjania au Sénégal et en général en Afrique de l’Ouest, les premiers convertis à l’Islam, devenus disciples de la confrérie, étaient d’extraction sociale élevée, les nobles de l’époque, pourrait-on dire. Ils avaient ce statut avant même l’arrivée de l’Islam, et on leur vouait, de ce fait, un grand respect. Grâce à eux, la religion musulmane et particulièrement la Tariqa Tidjania, se sont répandues. C’est là un premier fait singulier à souligner.

C’est par ailleurs l’ouverture d’esprit exceptionnelle de Sidi Ahmed qui caractérise aussi la Tidjania. Il fut ainsi le premier de son époque à répondre à la grande question qui taraudait les Oulémas du Maroc et du monde musulman : «Dieu aime-t-il les mécréants ?». Il a répondu par l’affirmative et a expliqué cela de façon extraordinaire.

Nous, héritiers de cette tradition, avons cette chance unique de comprendre les gens d'une tradition différente de la nôtre. Les systèmes de traduction, les moyens de communication, tout a évolué depuis. A notre époque, tout s’accélère et on se comprend, et on est plus tolérant…

Vous avez évoqué le fait que la Tidjania est une confrérie de migration. De nos jours, la migration est devenue un sujet central, partout dans le monde des personnes migrent à cause de la guerre, pour des raisons économiques, etc…

La migration des religions et des cultures, c’est l’histoire de l’humanité. Nous sommes tous des migrants, mais aussi toutes les espèces que Dieu a créées migrent au quotidien.

Les oiseaux par exemple : les flamands roses migrent de la Californie vers le lac rose du Sénégal. Et ça c’est sans visa, parce que c’est quelque chose de naturel. Chacun cherche sa pitance quotidienne

A notre époque, la migration est économique. Les frontières ont émergé à cause du nationalisme, cet ennemi de l’humanité qui cause beaucoup de haine et de guerre entre les peuples. Ce sont-là les maux de l’humanité…

Du coup, le soufisme, c’est un peu l’ouverture sur le monde…

On ne peut pas arriver à la connaissance de Dieu si on n'est pas ouvert d'esprit. C’est aussi simple que cela. Comment pouvez-vous vous connecter avec le Tout-absolu si vous n’êtes pas ouverts ? Comment voulez-vous parfaire votre religion, alors que Dieu est partout ? Comment y arriver si vous n’avez pas une pensée universelle ?

Plus on est ouverts, plus on est proche de Dieu, car la création est une manifestation des attributs divins. C'est le degré d'Al Ihssan. Dans le hadith du prophète (paix et salut sur lui), il est dit : «Al Ihssan est que tu adores Dieu comme si tu Le voyais, et si tu ne Le vois pas, sache que Lui te voit.»

Plus tu acceptes ces différences, plus tu te rapproches de Dieu. C’est ça d’ailleurs l’Islam, c’est cette soumission aux manifestations divines, sans discrimination. A contrario, plus tu discrimines, plus tu développes le culte de l’égoïsme…

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