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Grand Angle  

«Le secret de la grande avenue», Abdallah Saaf raconte Mohammed El Basri comme il l’a connu

Après «Parcours marocains en Indochine»*, publié en juin dernier, Abdallah Saaf récidive. «Le secret de la grande avenue» est l’intitulé du dernier livre du professeur de sciences politiques à l’Université Mohammed V. Dans son œuvre, l’homme de 68 ans raconte Mohammed El Basri, comme il l’a connu, le «Fqih» craint et respecté. Abdallah Saaf a fait beaucoup de recherches avant d’écrire ce livre, dédié à un ami de longue date. Détails.

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Abdallah Saaf vient de sortir son dernier livre "Le secret de la grande avenue". / Ph. Mehdi Moussahim - Yabiladi.com
Temps de lecture: 4'

Abdallah Saaf continue de s’inspirer de ses multiples rencontres. Cette fois-ci, dans «Le secret de la grande avenue» (éd. La Croisée des chemins), le directeur du Centre des études et recherches en sciences sociales, à Rabat, se penche sur Mohammed El Basri, l’opposant politique sous le règne d'Hassan II. Une longue amitié a uni les deux hommes pendant plus de 20 ans. Le professeur de sciences politiques raconte la période des «années de plomb» et les années qui ont suivi.

Le livre suit Jibril qui vient de sortir de prison, après dix-sept ans de détention. Ce dernier avait été enlevé par les services secrets. Libéré à plus de 40 ans, il a l’occasion d’étudier durant ses années d’incarcération. Ses nombreux diplômes lui permettent de travailler à l’université, donner des cours, et participer à des colloques à l’étranger. Lors d’un voyage au Liban, il rencontre Mohammed El Basri, surnommé le «Fqih». Il s’ensuit une amitié qui dure dans le temps et qui donne naissance à de nombreux échanges.

Une dame qui l'intrigue

Lors de rencontres à Paris, Jibril voit le «Vieux» à de nombreuses reprises. «Un jour on devait déjeuner ensemble. On a pris l’avenue Kleber, celle mentionnée dans le titre du roman. On a marché longuement vers un restaurant où le Fqih avait ses habitudes», raconte à Yabiladi le professeur.

«Dès qu’on s’est retrouvés à l’intérieur, on sentait une touche marocaine, sans doute l’odeur, la façon de se mouvoir des serveurs. Une belle dame euro-maghrébine s’approche de nous. Tandis qu’ils parlaient, j’était à côté, mais je n’entendais rien. Le fait que je ne saisissais pas complètement ce qui se disait, ça a attisé ma curiosité. Je me suis dit, qui est cette dame ?»

Plusieurs suppositions trottent dans l’esprit de Abdallah Saaf, «restauratrice» ? «propriétaire d’un endroit où il aimait aller» ? «membre de son organisation» ou «une liaison sentimentale» ? Mohammed El Basri décède quelques années plus tard, et le directeur du Centre des études et recherches en sciences sociales n’a pas la réponse à la question qui le taraude. «Ca tournait à l’obsession et c’est d’ailleurs le leitmotiv du livre», souffle l’écrivain.

Suite à une série de circonstances, le professeur universitaire finit par rencontrer la dame du restaurant. «J’ai pris connaissance de son histoire très tourmentée, qui reflète un peu l’histoire du pays. C’est devenu mon fil directeur. Qui est-elle ? Que représente-t-elle ?». A travers ce questionnement, et cette énigme, Abdallah Saaf en profite pour raconter qui est El Basri, «du cheminement de son enfance, jusqu’à son décès».

Et d’un autre côté, il y a Jibril qui est le reflet de la jeunesse de la gauche des années 70, en contraste avec la gauche née du mouvement nationale qui est celle du Fqih. «Le livre devient une comparaison entre les deux profils», explique le chercheur. Ensuite il y a une réponse à comment «il se sont rapprochés, sympathisés», et comment ils se «comprenaient».

Une ode à une longue amitié

Mohammed El Basri était un «ami» pour Abdallah Saaf. «Notre amitié remonte à une période où peu de personnes acceptaient de s’approcher de lui. Il y avait tout un mythe autour de lui, ‘’comploteur par définition’’, ‘’l’éternel insurrectionnel’’, ‘’opposant’’, etc», se remémore l’auteur de «Le secret de la grande avenue».

Mais tout a débuté en 1984 à Bagdad, lors d’une mission de Abdallah Saaf au pays de Saddam Hussein. «Quand je suis arrivé dans le hall de l’hôtel, je l’ai reconnu. Je suis allé le saluer comme on salue quelqu’un que l’on considère. Notre amitié s’est tissée depuis cette date», confie l’auteur.

Plusieurs années passent, jusqu’en 1991, alors que «le Fqih» est exilé en Algérie, «avec plusieurs condamnations sur le dos». Abdallah Saaf est invité à un colloque dans le pays voisin et «il a entendu que j’étais là», se souvient-il. «Il a envoyé un de ses proches pour venir me chercher».

Durant leur longue amitié, ils ne se cachaient pas, pourtant «le Fqih était toujours considéré comme dangereux, non fréquentable, même mes amis proches dans le parti me conseillaient de ne pas trop m’exposer avec lui. Mais je considérais que notre relation est une relation humaine et d’amitié. Advienne que pourra, je n’avais rien à cacher», clame fièrement le professeur de sciences politiques.

«Côtoyer ce type de profil, s’en approcher, discuter et percer quelques aspects de sa personnalité qui de loin restait incomprise, étaient une chance inouïe pour moi. Il suscitait la peur, il faisait l’objet de nombreuses critiques.»

Un personnage hors du commun

Toutefois selon Abdallah Saaf, Mohammed Al Basri avait de nombreuses qualités «peu communes» : «Un sens de l’analyse aiguisé de la situation politique», des «échanges riches», «une générosité intellectuelle et matérielle». Le Fqih avait des sentiments nobles, il avait un idéal et il était doté d’une intelligence aiguisée, relate Abdallah Saaf. «Il comprenait très vite une situation, le fait qu’il ait vécu longtemps en exil a développé son intuition. Il réagi à certains indices, à certains repères», décrit le romancier. Et d’ajouter admiratif : «Son réseau de connaissances était impressionnant, il connaissait tous les grands des régimes progressistes de la région.»

Lors des dernières années de sa vie, Mohammed El Basri était décrit par «ses ennemis», comme «entrepreneur politique». «Il aurait commercialisé son savoir-faire. Il aurait offert ses services aux services de renseignement de l’Egypte, l’Algérie, la Libye, l’Irak», ajoute Abdallah Saaf.

«Il fait partie de ce qu’il y avait de meilleur, malgré ses erreurs, même s’il a été vaincu à plate couture par ses grands adversaires du règne passé.»

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