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Grand Angle

Du bus au tramway, du harcèlement au respect chez les Marocain(e)s [Edito]

Il aura fallu une déclaration du maire de Rabat pour lancer un vif débat sur la question de mixité dans l’espace public au Maroc. Mohamed Seddiki a décidé d’introduire des bus roses, réservés exclusivement à la gent féminine. Objectif : éviter à cette dernière les harcèlements dans les transports en commun.

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Bus de la ville de Rabat / Ph. Blog Rabalivernes
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Les «pour» et les «contre» se sont opposés sur les réseaux sociaux sans pour autant suivre les clivages progressistes / conservateurs. L’étiquette PJD du maire de Rabat a très vite laissé place aux arguments sur l’utilité d’une telle mesure, invoquant même les exemples internationaux.

Si le débat s’est très vite polarisé, il parait difficile d’en tirer rapidement un avis définitif. On ne peut qu’entendre la plainte des femmes qui n’en peuvent plus de monter dans un bus bondé – ou pas – avec la boule au ventre. Pour elles, cette solution d’urgence ne peut être qu’une bénédiction, un changement radical et bienvenu dans leur quotidien déjà suffisamment pénible.

Quelle femme regretterait les jeux de coudes avec les bonhommes de 90 kilos pour grimper dans un bus en heure de pointe ? Quelle femme souhaiterait revivre presque quotidiennement les mains baladeuses de pervers ? L’argument de l’urgence de la situation appuyé par les récits accablants sur l’enfer vécus dans les bus est recevable à 100%.

Bus mixte à prendre en l’état / Ph. TwitterBus mixte à prendre en l’état / Ph. Twitter

«Mais c’est un projet rétrograde qui consacre un glissement dangereux vers un espace public non mixte», arguent une partie des progressistes. Ils n’ont évidemment pas tort, mais les expériences internationales (Mexique, Japon, Brésil, Inde…) diminuent la force de leur argument politique. Même Jeremy Corbyn, le leader travailliste avait proposé cette solution en écho aux demandes de certaines de ses concitoyennes excédées par le harcèlement dans les transports. Sur cette question, la gauche britannique s’est montrée très divisée.

Bien que le problème des valeurs et du projet de société se pose, il ne peut être le seul argument à opposer à un problème qui touche le quotidien des femmes. Même les féministes les plus endurcies inspirées par Simone de Beauvoir pourraient être tentées de préférer cette entorse à l’égalité et monter dans des bus dédiés.

Le rose peut coûter cher

Au delà du constat, un pas de côté est nécessaire pour cerner toutes les implications de cette mesure, dans une société conservatrice comme la nôtre. D’un point de vue financier, la ville de Rabat devra mettre en place des bus dédiés pour les femmes, ce qui alourdira sensiblement cette ligne de budget ou impliquera une hausse du ticket pour les usagers. On peut s’interroger sur l’opportunité d’investir dans des nouveaux bus qui voyageront peut être à moitié vides, alors que des bus mixtes seront pleins.

Le même bus devenu rose, toujours à prendre dans l’état / Photomobtage TwitterLe même bus devenu rose, toujours à prendre en l’état / Photomontage Twitter

Une fois les bus roses sanctuarisé, certaines femmes pourraient exiger qu’ils ne soient contrôlés et conduits que par des femmes. Pourtant, en termes d’organisation, ces bus impliqueront des contrôles plus musclés. Car il faudra bien expliquer aux hommes que le rose est strictement réservé aux femmes, même en cas de retard ou de congestion du bus mixte.

Le surcoût financier ainsi que le casse-tête organisationnel a, j’ose espérer, fait l’objet de nombreuses études par l’équipe du maire de Rabat. Il serait en effet regrettable que le contribuable et / ou l’usager paye plus cher des bus roses, alors qu’il «suffirait» de rehausser la qualité de l’ensemble pour diminuer sensiblement la promiscuité dans les bus durant les heures de pointe.

On touche au cœur du problème : il faut plus de bus, mais surtout mieux entretenus. Il est difficile de demander du respect à l’usager lorsqu’il est entassé comme du bétail dans des carlingues indignes.

Une seule population, deux modes de transport, deux comportements

Il y a un exemple éloquent avec les tramways de Rabat et Casablanca, où la différence de comportement des mêmes usagers du bus saute aux yeux. Calme, civisme, meilleur respect des personnes comme du matériel… J’ai même vu des hommes céder leur place à des femmes plus âgées, chose plus difficile à imaginer dans un bus bondé.

Par quel miracle se produit ce changement de comportement ? Peut-être l’estime de soi retrouvée quand on voyage dans un cadre propre, sécurisé, organisé. La réflexion sur la sécurité des femmes dans les transports en commun est cruciale, mais ne saurait faire l’économie d’une critique plus large concernant l’indignité de nos bus qui sont devenus – avec certains taxis – les verrues hideuses de nos grandes métropoles.

Et pour finir sur le harcèlement dont sont victimes les femmes, il ne concerne malheureusement pas que les bus. Repeindre en rose la carlingue d’un bus en espérant sanctuariser les 30 minutes journalières d’une femme, ne sera qu’une goutte d’eau dans l’enfer qu’elles vivent. Surtout quand tout proche de nous, l’expérience égyptienne qui nous a précédé (2007), connait des résultats mitigés.

Si l’éducation (à l’école et dans nos foyers) est le seul moyen de changer les mentalités à long terme, le durcissement de la loi et son application stricte sont les seules en mesure de redonner à la femme les moyens de faire valoir ses droits. Au vu du zèle manifesté par les autorités pour verbaliser les piétons ne traversant pas sur les passages cloutés, nul doute que le gouvernement El Othmani saura taper fort sur les doigts des mains baladeuses des agresseurs sexuels dans les transports, sur la voie publique ou au travail.

Article modifié le 2017/12/25 à 13h12

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