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Grand Angle

Les retours au bled : Une variante du tourisme des origines [Magazine]

Les retours au pays des membres d’une diaspora, le temps d’une visite touristique, ont été étudiés par des ethno-sociologues. Appelé «tourisme des origines», il permet d’insérer les migrations circulaires des Marocains résidant à l’étranger dans le cadre d’un phénomène mondial et diversifié, mais aussi de mesurer les spécificités du Maroc. Analyse.

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L’essentiel, à propos de ces retours au Maroc, est, pour moi, de préserver  l’identité, la marocanité des mes enfants. Il est important que mes enfants apprennent la langue, la religion, leur culture d’origine», explique Omar. Ingénieur, immigré à Paris, depuis Fès, à 20 ans, il est, aujourd’hui, à 42 ans, le père attentif de 5 enfants. Pour beaucoup de MRE, de façon consciente ou non, retourner au Maroc a non seulement pour but de revoir la famille, mais aussi de permettre à leurs enfants, nés en Europe, d’énouer des liens directs avec leurs origines.

Le tourisme du retour, tourisme des origines, tourisme affinitaire, visiting friends and relatives (VFR) ... l’expression exacte n’est pas encore arrêtée et révèle que les recherches concernant le tourisme attaché aux diasporas n’en sont encore qu’à leur débuts. L’anthropologue Caroline Legrand, en 2004, a défini le tourisme des origines comme «une forme singulière de circulation à travers laquelle primo-migrants et personnes issues de la migration tentent de se rapprocher physiquement et provisoirement d’un lieu d’origine tenu pour distinct de leur espace résidentiel». Ce lieu d’origine porte un fort investissement symbolique qui explique que des individus, plusieurs générations après l’exil de leurs aïeuls, puissent conserver des liens avec ce pays et vouloir découvrir leurs racines.

Pour les MRE, la dimension symbolique du Maroc serait assez faible. L’immigration est suffisamment récente et le pays d’accueil suffisamment proche pour que ces enfants, bien que nés en diaspora, aient eu des contacts directs et nombreux avec leur pays d’origine. Parents et enfants, s’ils conservent un attachement fort au Maroc n’ont pas encore fantasmé, imaginé, reconstruit leur pays d’origine comme peut pousser à le faire la distance et l’absence.

Pour Marie Blanche Fourcade, professeure substitut au département d’histoire de l’art à l’université du Québec à Montréal et coordinatrice du numéro «Tourisme des racines, expériences du retour» de la revue Téoros, «le fantasme du retour [...] s’incarne volontiers dans l’univers domestique [...] avec le rachat d’une propriété à proximité de la maison familiale afin d’y réinvestir ses racines. [...] Dans la majorité des cas, le retour s’avère impossible. Le séjour touristique devient alors l’unique moyen d’accéder au rêve, de si courte durée soit-il.» Un critère commun à nombre de tourismes des origines auquel souscrivent entièrement les MRE. Le succès, chaque année, des salons de l’immobilier marocain en Europe (voir Yabiladi Mag n°7) en est la preuve.

Le tourisme des origines se caractérise aussi par le sentiment d’être des deux pays à la fois. Indéniablement, il est partagé par les MRE. S’il n’était le fait du sentiment intime d’une double appartenance, du moins existerait-il à travers le regard des autres : habitants du pays d’accueil et Marocains au Maroc. Au Maroc, les MRE sont les «zmagria», en France ils ont longtemps été les «beurs», au même titre que les Algériens et les Tunisiens. Le concept très exploité et très médiatisé de la double culture, en France, renforce sans doute leur sentiment d’avoir un pied de chaque côté de la Méditerranée.

Méconnu, quel avenir se réserve le tourisme des origines marocain ? La vigueur  avec laquelle la directrice de l’ONMT France assure que les nouvelles générations de MRE, nées sur le sol français, n’ont aucune spécificité (voire article précédent) porte à croire qu’en France, personne ne veut reconnaître ou entretenir ce type de tourisme. L’ONMT fait écho au fait qu’en France, une politique multiculturaliste à l’image de l’Allemagne, n’a jamais été menée, quoi qu’ait voulu croire le président français Nicolas Sarkozy.

Désintérêt des opérateurs touristiques

La république, telle que les dirigeants français l’on conçue jusqu’ici, a toujours exigé que n’apparaissent, dans l’espace public, que des individus, des citoyens, mais aucune communauté. Comme le rappelle le rapport du Haut conseil à l’intégration, «La France sait-elle encore intégrer les immigrés?».Il est malaisé, de revendiquer des origines étrangères sans être immédiatement taxé de communautariste surtout si l’on prétend, du même coup, entretenir un entre soi avec ceux qui ont les mêmes origines.

Le Maroc, étant donné l’attention qu’il porte à sa diaspora, pourrait être plus actif. L’intérêt économique de cette forme de tourisme, proportionnel à la masse de la diaspora marocaine dans le monde, pourrait être une source particulière de motivation. Cependant, le succès de la destination Maroc auprès des Européens en général et des Français en particuliers est déjà si fort – 3, 88 millions de visiteurs européens en 2010 – qu’il ne l’incite pas à faire des efforts particuliers à destination des MRE.

Là se situe peut être toute la spécificité du tourisme des origines tel qu’il est vécu par les MRE. La sur-représentation du Maroc dans les destinations touristiques, indépendamment de toute recherche identitaire, ajouté à l’interdiction très française des communautés, mêle indistinctement tourisme de loisir et tourisme des origines.

Cet article a été précédemment publié dans Yabiladi Mag n°8

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