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Interview

Maroc : La danse Taskiwin, une culture ancestrale mise au ban par la mondialisation [Interview]

La danse Taskiwin a été inscrite, mercredi 6 décembre, sur la liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente de l’Unesco. Ahmed Assid, figure intellectuelle amazighe et Lahcen Hira, professeur d’anthropologie à la Faculté des lettres et des sciences humaines de Mohammedia (FLSHM), reviennent sur les facteurs qui menacent cette danse martiale caractéristique du Haut-Atlas occidental.

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La danse Taskiwin a été inscrite, mercredi 6 décembre, sur la liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente de l’Unesco. Ph. Tanja 24
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L’Unesco estime que la danse Taskiwin est menacée par la mondialisation et le désamour de la jeunesse pour les traditions ancestrales. Qu’en pensez-vous ?  

Ahmed Assid : On remarque depuis plusieurs décennies que la mondialisation est l’un des effets de la disparition du patrimoine, qui n’est pas protégé, pas enseigné à l’école, qui n’a pas de budget et n’est pas institutionnalisé. Au Maroc, le problème est que depuis l’indépendance, on a adopté le modèle jacobin de l’Etat-nation, c’est-à-dire le modèle français. Par ailleurs, nous avons adopté l’arabo-islamisme comme idéologie et comme culture officielle, soit la langue arabe et l’islam. Toute la diversité marocaine a été laissée de côté, mise au ban des institutions et de toute politique de préservation et de réhabilitation.

Les premiers aspects réellement influents de la mondialisation ont fait disparaître tous ces éléments-là à une vitesse extraordinaire. Les citoyens, influencés par la globalisation et les aspects culturels mondialisés, oublient leur culture ancestrale. Ils adoptent les modèles les plus véhiculés, les plus financés également, et abandonnent leur patrimoine, délaissé en considérant que c’est un élément se rattachant au passé plus qu’au présent. Les jeunes considèrent que la mondialisation est synonyme de modernité et d’avenir. Ils pensent aussi que les éléments de leur culture ancestrale sont liés au passé et, par conséquent, voués à disparaître. C’est la raison pour laquelle on réclame depuis des décennies que l’Etat prenne ses responsabilités et protège ce patrimoine, surtout le la culture amazighe.

Au début de l’indépendance, en 1956, 85% des Marocains parlaient amazigh. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 27% aujourd’hui. Ce chiffre montre la vitesse à laquelle cette langue est en train de disparaître. Bien entendu, la danse, la chanson et la musique sont toutes liées à la langue. Si la langue amazighe disparaît, c’est tout un patrimoine qui s’éteint. La danse est liée à la poésie, mais bien avant toute chose, ce sont les poètes qui chantent ; la danse vient après. Sans la poésie, il n’y a plus rien.

Lahcen Hira : Ce n’est pas seulement la mondialisation qui menace cette danse et le patrimoine traditionnel en général. C’est déjà l’urbanisation, la migration des gens qui vivent dans les montagnes, la dislocation des sociétés tribales anciennes. La mondialisation n’a fait qu’accélérer ce processus.

L’Unesco s’inquiète également d’un déclin de l’artisanat lié à la danse…

Ahmed Assid : C’est tout un rituel qui est liée à la danse Taskiwin, notamment vestimentaire. Le mot «taskiwin» est le pluriel de «tiskt», qui désigne un objet en laine coloré de rouge, avec une corne en argent que les danseurs placent sur leur épaule. Il y a un siècle, en temps de guerres, on mettait de la poudre dans cette corne. Aujourd’hui, c’est devenu un objet de décor des costumes traditionnels de danse, mais qu’on ne fabrique plus car il n’y a plus de «harka», de guerres intertribales ou d’autres opposant les tribus au pouvoir central. Parce que cet objet n’est plus fabriqué, la danse tend à disparaître petit à petit. L’artisanat traditionnel est lié à l’aspect vestimentaire, lui-même lié à la danse, au chant, à la poésie et aux instruments traditionnels conçus par les artisans.

Lahcen Hira : Là encore, c’est la même chose. A partir du moment où une tradition musicale disparaît, il y a tout un ensemble de savoir-faire lié à la danse qui disparaît, comme la fabrication des instruments et des costumes.  

Comment cette danse traditionnelle pourrait-elle être sauvegardée ?

Ahmed Assid : D’abord, il faut absolument qu’elles soient filmées par des professionnels de l’audiovisuel ; chaque détail doit être documenté. Après, il faut diffuser ces vidéos auprès des jeunes à travers des associations locales et culturelles pour leur apprendre à pratiquer cette danse. Grâce à cet effort, on pourra voir émerger une nouvelle génération de danseurs. Il y a presque dix ans que cette danse n’a pas été pratiquée dans les petits patelins. Il faut absolument que les anciennes générations transmettent leurs savoirs aux nouvelles.

Lahcen Hira : La solution est d’abord que des associations soient créées dans les villages pour perpétuer cette tradition. Les danseurs sont aujourd’hui trop âgés pour pratiquer cette danse. Il faut donc que les jeunes recueillent leur savoir-faire et leurs connaissances. Le premier travail se fait au niveau de la transmission puis de la pratique. Le deuxième consisterait à effectuer des recherches ethno-musicologiques, historiques et scientifiques, afin de restituer ces danses qui se transmettent principalement à l’oral plutôt qu’à l’écrit.

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