Menu

Grand Angle

Sexe et mensonges de Leila Slimani : Une libération de la parole ?

Tracer des limites sans jamais expliquer ni le pourquoi ni le comment. Se taire et faire taire quand il s’agit de parler de notre vie sexuelle. Etouffer la parole quand elle ose frôler le domaine de la sexualité. Ces sont des points parmi tant d’autres que Leïla Slimani soulève dans son dernier ouvrage pour nous inviter à y réfléchir, à nous remettre en question, et par la même occasion à nous questionner sur notre propre vie sexuelle.

Publié
DR
Temps de lecture: 3'

Alors qu’il s’agit d’un thème comme les autres, tout devient h’chouma (indécent) chez nous à chaque fois qu'on aborde le sujet de la sexualité. Dès l’enfance l’entourage familial inculque, consciemment ou pas, ce concept à l’enfant : h’chouma, tais- toi ! Cultiver le silence autour de ce point, a parfois des résultats effrayants. Cela peut mener à violer certains de nos droits ainsi que ceux de nos enfants, car «à cause de la h’chouma, on ne parle jamais de la pédophilie, de l’inceste, des viols, de la prostitution des mineurs» (Leila Slimani, Sexe et mensonges, Paris, Arènes). On se tait, on détourne les yeux et c’est tout.

L’éducation sexuelle

S’obstiner à garder le silence n’est pas l’apanage du foyer familial, puisque le milieu scolaire y adhère également. «Il n’y a pas d’éducation sexuelle dans notre système scolaire», souligne Faty Badi dans son témoignage au sein du livre. L’élève n’apprend presque rien à propos de la vie sexuelle au primaire ni au collège, il faut attendre le lycée pour traiter la question de la sexualité. Ce retard peut s’avérer périlleux, c’est ce qu’affirme Nour dans son témoignage.

«Quand j’avais 5 ans, un cousin me faisait des attouchements. Quand c’est arrivé, j’étais tellement petite, je ne savais pas. On n’a jamais eu à discuter de ça chez nous. Je n’avais jamais entendu quelqu’un parler de ça, il a fallu attendre le lycée pour que j’en entende parler. Et encore, c’était en cours de biologie, c’est-à-dire d’une manière très froide. Scientifique.»

Evidemment, rien n’empêche ces filles, ou futur femmes, de demander autour d’elles afin de saisir de quoi il s’agit pour leur vie sexuelle. Mais souvent, elles peuvent être confrontées à de mauvaises surprises, parce qu’au Maroc «si la femme parle de (..) sa propre sexualité, elle a de grandes chances de se prendre une gifle», assure Maha Sano, dans un autre témoignage. Cette brutalité à laquelle on a recours de la part d’aucuns demeure inexplicable et peut prendre parfois des postures choquantes : «Je me souviens même de cet épisode ridicule où il [le père] s’est mis en colère parce que deux de mes peluches étaient enlacées dans une attitude qu’il jugeait inconvenante», déclare Zhor.

Tout est tabou

La violence de certains parents prouve qu’ils ne dialoguent pas avec leurs enfants, il n’y a pas d’échanges, parfois même pas d’affection non plus. Tout est tabou. «L’amour, la tendresse sont aussi tabous». Parler ou exprimer ses sentiments, cela ne se fait pas ; c’est honteux. «Dans ce pays, il n’y a pas de place pour les sentiments». Il n’y a que des limites, des «houdouds», pour rendre hommage à Fatima Mernissi. Des houdoudes à ne jamais transgresser.

Toutefois, et au grand malheur des créateurs de ces limites, «le secret, le tabou créent finalement l’effet inverse de celui recherché : on brûle d’envie de connaître ce qu’on nous cache». Du coup on s’engage dans des aventures et les résultats s’avèrent parfois épouvantables : «(..) des centaines de femmes abandonnent des enfants conçus dans l’illégalité. Selon l’association Insaf, pour la seule année 2010, il y aurait eu en moyenne 24 bébés abandonnés par jour, soit 8 000 à 9 000 bébés par an sans identité, ni généalogie, sans parler des cadavres trouvés dans les poubelles», souligne Slimani dans son ouvrage.

Mais le pire c’est que l’ignorance de tout ce qui se rapporte à la sexualité ne concerne pas uniquement les individus inexpérimentés, loin de là ! «Le rapport à la sexualité est très naïf, même chez les couples mariés. J’ai discuté avec des femmes, pourtant éduquées, qui n’avaient jamais vu un gynéco et qui croyaient qu’elles pouvaient attraper le sida en buvant quelque chose», atteste Faty Badi.

L’avis de la religion

Et l’Islam dans tout cela ? C’est Asma Lamrabet (médecin, chercheuse en théologie et figure de la pensée réformiste au Maroc) qui s’en charge pour répondre à cette question : «(..) l’Islam encourage la sexualité car il considère qu’il n’y a pas de raison de rendre impur quelque chose qui a été créé par Dieu». L’Islam insiste sur un concept très important, c’est que finalement il n’existe pas «d’incompatibilité entre besoins du corps et exigences de la foi.» Donc pourquoi ne pas avoir une bonne éducation sexuelle en vue de vivre une vie sexuelle saine, sauve et épanouie ? Avons-nous oublié que les musulmans sont des pionniers sur la voie de l’érotisme ? Nous n’avons qu’à citer l’exemple du livre Le Jardin parfumé de Malek Chebel, où «la sexualité y est même considérée comme une source d’équilibre et d’épanouissement de l’être humain.» Donc pourquoi diaboliser un besoin corporel naturel ?

Tant de questions auxquelles on doit s’attaquer mais pour ce faire il faut d’abord oser les poser. Il faut parler de la sexualité. Les réseaux sociaux pourraient nous rendre de grands services à ce propos. Ils «vont permettre une certaine ouverture d’esprit» et jouer un rôle important pour délier les langues. Les Marocains osent de plus en plus parler de leur vie sexuelle, car ils le font souvent dans l’anonymat. Ce n’est pas suffisant peut être, mais c’est soulageant et surtout encourageant puisque cela demeure un grand pas sur le long chemin de la libération de la parole.

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com