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Tribune

Dr Lahna au Bangladesh : Les hôpitaux succombent sous le poids de l’exode massif des Rohingyas [Tribune]

«Le climat international et le glissement sémantique d’islamisme vers terrorisme, puis vers Islam et pour finir vers musulmans a fait que cette population qui embrasse une religion décrite comme néfaste et dangereuse est devenue de fait indésirable. L’histoire a toujours tendance à bégayer !»

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Les hôpitaux publics ploient sous le poids de l’exode massif des Rohingyas. Ph. Facebook Zouhair Lahna
Temps de lecture: 3'

J’ai vu les Rohingyas au camp du Bangladesh vivre entre la terre battue et les abris de fortune, j’ai vu des femmes en souffrance accroupies pour faire à manger ou faire la queue pour une offrande, j’ai vu des enfants porter du bois pour la cuisson et qui perdent peu à peu leur innocence. J’ai passé du temps dans les hôpitaux publics, opéré dans une clinique privée et visité une multitude de centres de santé primaires plus ou moins efficaces.

L’état des Rohingyas est désormais connu de tous ou presque. L’exode massif d’une minorité musulmane qui vivait depuis des siècles dans ce qu’on appelle la Birmanie.  Une conséquence néfaste de ce qu’on appelle un Etat-nation, puisque l’Etat birman enfanté par la colonisation britannique a donné une nationalité à cette minorité pour la lui retiré ensuite. Le climat international et le glissement sémantique d’islamisme vers terrorisme, puis vers Islam et pour finir vers musulmans a fait que cette population qui embrasse une religion décrite comme néfaste et dangereuse est devenue de fait indésirable. L’histoire a toujours tendance à bégayer !

Depuis fin août 2017, un exode massif des Rohingyas est en cours. L’UNHCR estime à 622 000 le nombre de Rohingyas nouvellement arrivés. Avec ceux qui étaient déjà là, on parle d’un chiffre qui peut avoisiner le million si on additionne tous les camps qui se sont remplis par vagues successives depuis 1992, date de la première arrivée des Rohingyas vers le Bangladesh.

Des blocs opératoires aux capacités limitées

Quand on arrive à l’hôpital public de Cox’s Bazar, la plus grande ville située au nord du camp, un sentiment de gêne et de dégoût vous prend à la gorge. Une entrée certainement jadis belle et arborée et qui ressemble désormais par le fait des  hommes à une déchetterie. Quand on s’aventure dans les services, les peintures effacées et les murs et sols remplis de crasse interpellent votre esprit et votre intelligence sur l’endroit où vous vous trouvez. Sommes-nous dans un hôpital ?

Il ressemble hélas à plusieurs hôpitaux publics qu’on peut voir à travers les pays dit du Sud, diront certains, mais quoi qu’on dise, je ne m’y ferai jamais. La propreté n’a jamais été et ne sera jamais une question de moyens, mais de savoir être. Mais le laisser-aller jour après jour fait que les médecins et le reste du personnel s’habituent peu à peu à ces situations. Sans parler de ceux qui souhaitent voir cela se maintenir pour inciter les patients à partir dans le secteur privé même en se saignant.

Les patients Rohingyas étaient au dernier étage qui leur a été réservé. Un mélange entre hommes, femmes et enfants dans le même service. Certains cas urgents ont été opérés, tandis que d’autres moins aigus comme les hernies des enfants ou les calculs des vessies attendent depuis des semaines. Les capacités du bloc opératoire sont limitées, d’autant que tout le monde ou presque quitte à 14 heures. L’UOSSM (Union des organisations de secours et soins médicaux, ndlr), ONG avec laquelle je suis parti, a trouvé la parade en allant opérer les patients dans la clinique située à quelques dizaines de mètres de l'hôpital afin de rendre service aux patients, d’autant plus qu’on était trois chirurgiens et deux anesthésistes  Et les seize patients ont été opérés en deux jours. On a fait comme les autres et engraissé un peu la vache, mais il fallait rendre service, et ce n’est pas le moment d’opérer une révolution dans les esprits.

Une vingtaine de maternités assure un service continu

Personnellement, j’ai été étonné de ne pas trouver plus de femmes qui auraient besoin d’interventions, sachant qu’il y a des dizaines de milliers de Rohingyas et que les pathologies opérées nous indiquaient clairement que ces pauvres Rohingyas ont été délaissés médicalement en Birmanie.

J’ai commencé alors ma quête d’informations, ce qui n’est pas du tout chose facile. Les ONG s’installent, ouvrent des centres de santé primaires et font dans le traitement des symptômes et des urgences. Il y a plus de 150 postes d’offres de soins dont seulement une quarantaine qui ont le standard minimum de l’OMS, et en ce qui concerne la santé maternelle, l’offre est encore chaotique. Sur les 36 maternités existantes, seules une vingtaine assure un service continu, par conséquent les milliers de femmes enceintes arrivées au camp continueront d’accoucher sous leurs abris de fortune. J’ai su dans une réunion avec l’UNFPA (Fonds des Nations unies pour la population, ndlr) qu’une femme est décédée dans la nuit suite à son accouchement hémorragique parce qu'on l’a emmenée tard au centre de santé et ensuite à l’hôpital.

Et l’hôpital, parlons-en alors !

L’état des hôpitaux publics est ce qu’il est. Ils ont déjà du mal à gérer la population bengalie du district de Cox’s Bazar estimé à 400 000 personnes. D’autres hôpitaux peuvent prendre le relais, notamment celui d’une fondation qui s’appelle Hope et celui de l’hôpital de la Croix Rouge qui fonctionne depuis début novembre. Mais ces offres sont en deçà des besoins d’une population de près d’un million de personnes, c’est pour cela que l’idée de la mise en place d’un hôpital mère-enfant pour les Rohingyas a trouvé pour moi tout son sens.

A suivre…

Tribune

Zouhair Lahna
Chirurgien obstétricien et acteur associatif
Emission spécial MRE
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