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Grand Angle

L’écriture féminine marocaine, j’écris : j’existe !

Lever le voile sur le statut de la femme, s’affirmer en tant qu’individu au sein d’une société qui repose encore sur des fondements archaïques, écrire ce qu’on pense et ce qu’on ressent dans son corps en tant que femme, éveiller les consciences en vue d’agir en conséquence, telle est la mission d’une écriture féminine en plein essor au Maroc.

Publié
Photo d'illustration / DR
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Pendant longtemps, l’écriture était considérée comme un luxe que la femme n'a pu conquérir que dans le tourment et la douleur. Cette position n’est pas le destin des auteures marocaines exclusivement ; il s’agit d’un phénomène universel qui a interminablement marqué le sort des femmes écrivaines désireuses de changer leur condition.

Au XXIe siècle, le nombre de femmes victimes de la violence et de l’injustice sociales, à travers le monde, est colossale. La société marocaine ne fait pas l’exception. Sauf que, à côté des femmes marocaines qui ont choisi de se taire, sciemment ou pas, il y a celles qui ont fait de leur plume, leur arme de défense. Ecrire au féminin est devenu pour elles un acte de rébellion contre tout ce qui entrave l’émancipation féminine au Maroc.

Si on remonte un peu dans le temps, on s’aperçoit que c’est surtout l’accès de la femme marocaine à l'éducation, qui a permis le développement de l’écriture et la littérature féminine marocaines. Une littérature qui se perpétue de décennie en décennie et qui a devant elle tout un avenir.

La présence d'une littérature féminine au Maroc est actuellement une réalité établie par la critique. Après des tentatives timides juste après l’indépendance, les écrivaines marocaines dés les années 80 et tout au long des années 90 ont affirmé leur présence sur la scène littéraire. Se sentant tenues par un devoir moral, elles n’hésitent pas à rendre compte de la condition sociale de leurs consœurs défavorisées et condamnées au mutisme. La fiction étant le garant de la propagation de leurs revendications.

Le «je» pour s'affirmer

Elles ne cherchent pas l'art pour l'art, mais l'art pour servir leur cause. Les thèmes traités dans leurs romans témoignent de leur besoin de transcender leur statut de femme, et de leurs aspirations à cesser d’être considérées comme des objets. Ce qu’elles désirent en fait, c’est être qualifiées en tant que sujet en se permettant enfin de dire «je».

Cet usage du «je» est une manière de faire table rase de la tradition, et d’éradiquer toute trace de l’archaïsme qui pèse encore sur la liberté de la femme marocaine si assoiffée de modernité. A travers le «je» scripturaire de l’autobiographie (le cas de Fatima Mernissi dans Rêves de femmes ,ou encore de Rachida Yakoubi dans Ma vie, mon cri) ou encore de l’autobiographie fictionnelle, les auteures marocaines tentent de devenir un individu qui existe par lui même. Autrement dit, la femme n’a plus besoin de faire partie d’un groupe pour affirmer son existence. L’épanouissement du «je» aboutit alors à la réappropriation de l’identité féminine qui ne peut se réaliser intégralement sans l’implication du corps féminin dans le texte littéraire.

Spoliée du droit d’écrire son corps, la femme était également expropriée de son identité et du droit de laisser ce corps s’exprimer. Avec l’écriture féminine, le corps ne va plus être une extériorité insignifiante ou creuse. La découverte du corps féminin par la femme elle-même, chez des écrivaines marocaines comme : Souad Bahechar dans Ni fleurs, ni couronnes, ou Ghita El Khayat dans La Liaison, prend un aspect différent de la thématique du corps telle qu’elle est traitée par les écrivains hommes. Les femmes ont à dire, à leur façon, ce que les hommes ne peuvent pas dire à leur place. En écrivant leur corps, les romancières marocaines le récupèrent, enfin, de sous la plume masculine. Elles disent leur intériorité et s’assument comme un être entier qui n’attend plus qu’un écrivain homme parle à sa place.

Nouvelle esthétique

Désormais, la femme ne veut plus être sous la tutelle de l’homme. Maintenant, elle se sent apte à prendre la parole, de mettre correctement les mots sur ses plaies, et par la même, de servir toute seule sa cause. L’écriture féminine devient alors un moyen de contestation. Elle tente de rejeter les vieux clichés associant la femme au silence et à l’infériorité comme le souligne fort bien Siham Benchekroun dans Oser vivre ou encore Farida El Hany dans Faites parler les cadavres. Cet être qui a été longtemps marginalisé va réussir enfin à se libérer et à récupérer ses droits au moyen de l’écriture pour affronter la mentalité patriarcale et le discours littéraire officiel, toute en optant pour une nouvelle esthétique.

Une esthétique qui est caractérisée surtout par la violence du ton. C’est un constat tout à fait naturel, vu que ces écrivaines refusent la sujétion. Elles tentent de s’affirmer tout en affirmant leur originalité stylistique dans un contexte à canons préconçus par la suprématie masculine. Un exemple signifiant peut être Filles de vent de Nadia Chafik où l’on note l’absence totale de chronologie linéaire du récit. L’écriture féminine devient alors un cri de colère qui opte pour la rupture de l’ordre classique, mais aussi et surtout l’occasion de la réappropriation de la parole.

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