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Grand Angle

Le Maroc, éternel garde-frontière de l’Union européenne ?

Quelques heures seulement avant les échauffourées qui allaient éclater à la gare routière de Casablanca entre habitants du quartier et migrants, des chercheurs réfléchissaient à Rabat sur «la fabrique des politique migratoires». Perspective croisées.

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Les subsahariens interpellent la presse près de la gare routière d'Ouled Ziane de Casablanca où ils ont installé leurs campements. (c)Yabiladi
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«Ce dont a peur aujourd’hui l’Intérieur, c’est qu’il y ait de plus en plus de crimes commis par et contre les migrants», soulignait, hier, vendredi 25 novembre 2017 Mehdi Alioua, chercheur en migration lors d’une conférence à l’Université internationale de Rabat sur «Les migrations internationales, une question de gouvernance mondiale», presque prémonitoire. Le même jour, dans la soirée, des échauffourées ont éclatées entre certains migrants subsahariens qui campent dans un jardin public près de la gare routière de Oued Zidane, à Casablanca et les habitants du quartier. Des poubelles ont été incendiées, des jets de pierres échangés, mais il n’y a heureusement pas eu de blessés.

Jusqu’ici, des affrontements avaient eu lieu à Tanger et Fès et plus rarement à Rabat. Hier, ils ont eu lieu à Casablanca, plus précisément à la gare routière, car c’est là que les migrants arrêtés massivement au nord du pays, près de la frontière avec l’Europe, sont amenés en autocar pour être relâchés.

«Les migrants subsahariens qui vivent à Ouled Ziane ont reproduit les camps de fortunes qu'ils avaient érigés dans les forêts à proximité des frontières européennes, que les autorités marocaines surveillent plus efficacement que les leurs, parce qu'ils n'avaient aucune autre possibilité..., estime aujourd’hui Mehdi Alioua. Et avec des camps de fortunes au milieu d'une ville comme Casa... je suis même étonné que le feu n'ait pas été déclenché plus tôt... Je le dis et le répète : notre politique migratoire ne fonctionnera que le jour où nous cesserons d'être le gendarme de l'Europe.»

Nouvelle politique migratoire

La conférence d’hier a justement expliqué les influences qui s’exercent sur les politiques migratoires marocaine et africaine. «En 2003 quand le Maroc adopte la loi 02.03 créant un délit qui n’existait pas jusque là - la sortie illégale du territoire - il est le précurseur d’une dynamique répressive sur le continent. Derrière, des lois du même type avec de nombreux emprunts aux législations des pays européens, se sont multipliées au Maghreb et en Afrique de l’Ouest», a constaté Delphine Perrin, chercheure en droit à l’Université Aix Marseille, en France.

L’influence de l’Union européenne est forte mais d’autres facteurs expliquent également que la répression des migrations ait autant de succès en Afrique. «Les normes répressives, quelle qu’elles soient, se diffusent d’un pays à un autre beaucoup mieux que les normes protectrices parce qu’elles donnent aux Etats des pouvoirs supplémentaires au lieu de responsabilités coûteuses, explique Delphine Perrin.  D’autre part, les Etats africains souffrent également d’un déficit de gouvernance démocratique. Dès lors ils réfléchissent d’abord à leur intérêt financier et diplomatique en tant qu’Etat avant de voir celui de leur population.»

En 2013, le Maroc a lancé sa nouvelle politique migratoire avec en particulier la première opération de régulation. «10 ans après la loi 02.03, le contexte et donc les facteurs d’influence sont différents : les révolutions arabes, le développement d’une société civile, les nombreuses critiques adressées en interne à la politique de fermeture de l’Union», énumère Delphine Perrin. L’extension de l’ère d’influence du Maroc en Afrique de l’Ouest explique également le lancement de cette nouvelle politique et en particulier le lancement de la deuxième opération de régularisation.

Entre Afrique et Europe : Le grand écart du Maroc

Pour autant, celles-ci ne signifient pas que le Maroc se soit détaché de l’influence européenne. «La régularisation est aussi une réponse à la pression de l’Union européenne sur le Maroc pour qu’il accueille et intègre les migrants chez lui afin qu’ils renoncent à passer en Europe», rappelle Delphine Perrin. Le recours à la régularisation est lui-même typique de ce qu’il se fait dans les Etats de l’UE face à l’immigration irrégulière. Le contrôle à la frontière européenne dans le nord, comme le rappellent les échauffourées d’hier à Casablanca, est également resté très fort. Ainsi, un Subsaharien expliquait hier à la gare d’Ouled Ziane à Yabiladi : «Les Blancs ont poussé les Maghrébins à tuer les Africains noirs mais nous sommes tous des Africains ! A chaque fois que l’on sort pour «faire salam» (mendier) ici, ce n’est pas pour rester au Maroc mais c’est pour passer en Europe. Ils n’ont qu’à nous laisser faire notre choix.»

«Cependant, face à l’influence européenne, chaque Etat négocie et adapte localement les exigences européennes de sorte que souvent elles ne s’appliquent pas de la façon dont elle le voudrait », insiste tout de même Nora El Qadim. Ainsi, les droits que le Maroc accorde aux étrangers sont supérieurs à ce que la France est prête à faire : le Maroc accorde ainsi le droit de vote réciproque et l’accès aux mêmes droits sociaux que les nationaux. Par contre, la nationalité marocaine, contrairement à la France, est totalement inaccessible aux étrangers.

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