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Interview  

«Quand Paul traversa la mer», le documentaire qui retrace le parcours d’un migrant du Maroc vers l’Allemagne [Interview]

Le documentaire du réalisateur allemand Jakob Preuss, «When Paul came over the sea», sorti en janvier, a été diffusé vendredi 10 novembre à Rabat lors du «Carrefour de l’asile et de la migration», chapeauté par la fondation Heinrich Böll. Interview.

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Paul a vécu pendant trois ans dans la forêt de Gourougou à Nador pour tenter de rejoindre l'Europe. / Ph. Weydemman Bros
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«Quand Paul traversa la mer», de Jakob Preuss, retrace le parcours de Paul, un migrant camerounais qui a quitté son pays natal pour le Maroc, où il a atterri dans la forêt de Gourougou, à Nador. Il a ensuite rejoint l’Espagne à bord d’une embarcation de fortune et réussi à regagner l’Allemagne, où il a toujours rêvé de vivre. Le documentaire a reçu notamment le prix Golden Gobelet à Shanghai et le prix de Bergame en Italie.

Comment est née l’idée de ce documentaire, qui débute dans la forêt de Gourougou à Nador et se termine en Allemagne ?

Au départ, je n’avais pas prévu de tourner au Maroc. C’était censé être un film en plusieurs épisodes sur les frontières extérieures de l’Union européenne, aussi bien en Grèce, en Ukraine, à Malte et en Tunisie. J’ai effectué deux ans de recherche en travaillant parallèlement sur d’autres projets.

En 2014, j’ai découvert des images de la forêt ici. Vu que je parle français et espagnol, je me suis dit que j’allais partir là-bas. Au début, je pensais que ça allait être caricatural - ce que je ne voulais pas. Mais en fin de compte, j’ai changé d’avis.

Une fois que je suis arrivé à hauteur de la forêt et que j’ai pu entrer en contact avec la communauté qui y vit, je me suis dit que je pouvais raconter ces histoires, et ajouter quelque chose. Pour moi, c’est très important dans mon travail avec les migrants d’avoir un véritable échange, et ça se fait grâce à la langue. J’ai rencontré des gens durant le documentaire qui sont très éduqués, très réfléchis, avec des personnalités très fortes et des idées tranchées.

Je ne voulais pas transmettre un regard condescendant, du genre ‘ah les pauvres’. Ce sont des gens qui prennent des décisions, pauvres parce qu’ils n’ont pas d’argent, mais pas parce qu’ils n’ont pas de personnalité. C’est ce que j’ai réussi à trouver chez Paul (le personnage principal du documentaire, ndlr). Je l’ai rencontré en 2014. Le premier tournage a eu lieu à partir de l’été 2014 jusqu’en 2015. Le montage a duré un peu plus qu’un an. La première du film a eu lieu en janvier dernier.

Paul (à gauche), en compagnie de Jakob Preuss, le réalisateur du documentaire. / Ph. Weydemman BrosPaul (à gauche), en compagnie de Jakob Preuss, le réalisateur du documentaire. / Ph. Weydemman Bros

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées au Maroc lors de la réalisation de votre documentaire ?

Côté marocain, je n’ai pas eu beaucoup de difficultés. La seule entrave, c’est que je n’avais pas de permis officiel. Je suis arrivé à Rabat en espérant travailler sur ce projet officiellement ; dire que j’allais réaliser un documentaire sur les migrants qui habitent dans la forêt. Comme je connaissais quelqu’un qui travaille au Conseil national des droits de l’homme (CNDH), il m’a mis en contact avec les autres membres. Ils étaient très ouverts ; la nouvelle politique migratoire venait d’être lancée, ils étaient d’accord sur le fait que ce serait bien d’en parler justement.

J’ai accompagné des gens du CNDH avec des Camerounais qui allaient dans la forêt pour parler aux migrants de la politique migratoire du Maroc. Ils leur disaient qu’ils pouvaient se rendre au bureau des étrangers et qu’ils pourraient, sous certaines conditions, obtenir une carte pour se protéger un minimum. La plupart des migrants se méfiaient, ils me disaient qu’ils ne comptaient pas rester au Maroc. Finalement, un groupe d’une trentaine, voire quarantaine de personnes sont parties au bureau des étrangers pour s’enregistrer. C’était très émouvant car c’était la première fois qu’ils étaient face à l’administration marocaine. C’était positif en quelque sorte.

Jakob Preuss, le réalisateur du documentaire "When Paul came over the sea". / Ph. Markus UlrichJakob Preuss, le réalisateur du documentaire «When Paul came over the sea». / Ph. Markus Ulrich

J’ai beaucoup attendu avant d’avoir mon permis officiel. Ici au Maroc, on ne dit pas oui, ni non. J’ai dû les relancer à plusieurs reprises. A un moment, j’ai compris que je n’aurais pas de réponse. Du coup, pendant le tournage du documentaire, il fallait que je sois très discret. Nador, comme vous le savez, est une ville très conservatrice mais heureusement, nous n’avons jamais rencontré de problèmes là-bas. 

Pendant le tournage, il fallait convaincre les migrants de participer à ce projet et d’accepter de se laisser filmer. Ils ont souvent l’idée que les gens se font de l’argent sur leur dos. C’était plutôt ça, la vraie difficulté.

Comment le public marocain a accueilli votre documentaire lors de la première projection à Rabat, vendredi dernier, à l’occasion du «Carrefour de l’asile et de la migration» ?

Très bien, j’ai senti qu’ils comprenaient très bien. D’un côté, ils connaissent la situation, ils peuvent s’identifier à Paul. Mon documentaire a été projeté dans plusieurs pays, en Ukraine, en Chine, en Italie, à Sao Paulo, Tunis, et plusieurs fois en Allemagne.

Le personnage de Paul est universel. On comprend son caractère, on peut lire ses expressions sur son visage, voir quand il réfléchit, quand il est triste, joyeux, etc. Je l’ai senti ici. J’aimerais que mon travail soit projeté dans les universités et au sein de la communauté des migrants car ce sont des gens qui n’ont pas accès à la culture.

Paul, lors de son périple pour atteindre l'Allemagne. / Ph. Weydemman BrosPaul lors de son périple pour rejoindre l'Allemagne. / Ph. Weydemman Bros

Vous avez suivi le parcours de Paul du début à la fin. Vous ne saviez pas comment les choses allaient tourner… 

Je ne pouvais pas savoir, je ne pensais pas qu’il allait réussir pendant le tournage. Ça faisait quand même trois ans qu’il était en Afrique du Nord. Il n’avait pas beaucoup d’argent et avait déjà tenté à plusieurs reprises de rejoindre l’Espagne en zodiac, directement vers la péninsule. Franchir la barrière était trop risqué pour lui. Je pensais que j’allais faire un documentaire sur sa vie dans la forêt, brosser un portrait de ce monde. Il a réussi à aller en Espagne lors du tournage et ça a complètement changé l’idée du film. En revanche, je ne pouvais pas savoir s’il allait réussir à rejoindre l’Allemagne.

Pourquoi cet attrait pour la migration, les mouvements migratoires et les migrants ?

Au début, ce n’était pas forcément la question de la migration qui m’intéressait, mais plutôt celle des frontières. Je suis né à Berlin-Ouest, j’ai vu le mur tomber, les contrôles frontaliers disparaître avec la France, la Pologne et dans l’espace Schengen en général. Les frontières m’ont toujours fasciné. Au début, je regardais plutôt le côté européen de la chose. Que veux dire cette frontière pour les gens ? Très vite, il est devenu évident qu’il fallait que je parle de ces gens concernés par ces frontières de l’autre côté.

Cette fascination est venue avec le tournage et les rencontres. J’ai eu un coup de cœur pour Paul et pour toute sa communauté. J’ai énormément appris, vu que je ne connaissais pas l’Afrique subsaharienne. J’ai vu des personnes qui avaient une vraie foi, une vraie détermination, une telle confiance. Avant, j’avais tout le temps peur, j’étais très pessimiste alors qu’en réalité, je n’ai aucune raison de craindre l’avenir. Paul, à travers son éducation et sa foi, m’a appris énormément de choses.

Article modifié le 2017/11/15 à 16h27

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