Les nouveau-nés fragiles ont besoin de nous. Je ne parle pas de tous les nouveau-nés fragiles par essence et qui ont besoin des soins permanents de leurs parents et leur entourage pour les réchauffer, les allaiter, les laver et les changer. Je parle de ceux qui sont malades entre eux, suite à une naissance avant l’heure ou après avoir subi un accouchement difficile qui a généré une asphyxie, et par conséquent, un départ difficile dans la vie. Il y a également ceux qui attrapent une infection pendant l’accouchement ou, comble de la dérision, lors de leur séjour en néonatologie.
Parlons-en, des unités de néonatologie. Les nouveau-nés qui y entrent ont une malchance importante de n’en sortir que vers les cimetières. Les soins qui y sont dispensés ne sont ni aux normes ni à la hauteur des besoins que requièrent ces petits êtres. Et pour illustrer ce que j’avance, je vais vous citer un exemple factuel. Et j’en ai d’autres malheureusement.
Pendant que je visitais une unité de néonatologie dans une grosse maternité d’une ville du royaume, j’ai vu des jumeaux dans la même couveuse ; l’un d’entre eux était bleu et avait du mal à respirer, ses petits muscles thoraciques se contractaient pour faire avancer l’air vers ses poumons et pouvoir oxygéner son petit cerveau. On appelle ceci une respiration de lutte - lutte pour la survie. Ces nouveau-nés ont besoin d’une assistance respiratoire, un appareil qui les aide à respirer en attendant que leur état s’améliore.
«Science sans conscience n’est que ruine de l’âme»
- Il ne va pas bien ce nouveau-né, ai-je dit à l’infirmière qui m’accompagnait.
- Je sais, me répond-elle en ajustant les petits tuyaux qui étaient en face de ses narines pour lui donner de l’oxygène.
- Je crois qu’il a besoin d’une assistance respiratoire, ai-je répété en regardant la pédiatre qui arrivait.
- On sait, mais on n’y peut rien, le centre hospitalier universitaire qui possède une réanimation n’a jamais de place et refuse tous nos transferts.
- Alors, comment vous faites ?
- On ne fait rien !!
- Vous voulez dire : soit il s’en sort tout seul soit il meurt, ai-je insisté en les fixant du regard.
- C’est bien cela, malheureusement…
- Et si ce nouveau-né était quelqu’un de votre famille ? Le regarderiez-vous s’éteindre sans faire quoi que se soit ?
Je n’ai eu en guise de réponse à ma dernière question qu’un mutisme gêné. Je suis sorti de l’unité tête baissée en essayant de contenir ma colère. La colère du manque de moyens et de volonté, et surtout la colère de l’incompréhension. Et puis j’ai commencé à me parler à voix haute comme un fou : comment en est-on arrivés là ? A un tel détachement avec la mort d’autrui. Comment un personnel soignant assiste-t-il à la décadence sans demander l’amélioration des conditions de travail et prendre la défense de ces petits êtres dont il a la charge et la responsabilité ?
Avoir une conscience, c’est ce qui différencie les humains des autres créatures, et avoir choisi un métier à responsabilité de la santé des humains, c’est ce qui différencie en principe ceux qui ont acquis un savoir de ceux qui ne l’ont pas. In fine, science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Alors, quand on mélange peu de science et un niveau très bas de conscience, qu’est-ce que cela pourrait bien nous donner ?