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Grand Angle

France : Les chibanis de Strasbourg croisent le fer avec leur caisse de retraite

Une caisse de retraite alsacienne a notifié à plusieurs retraités maghrébins l’arrêt du versement de leur minimum vieillesse, estimant qu’ils n’ont pas respecté les délais de résidence en France. La Coordination alsacienne de l’immigration maghrébine dénonce des contrôles discriminatoires. Détails.

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Des chibanis du foyer Adoma à Strasbourg. / Ph. Mustapha El Hamdani
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Après la SNCF, c’est désormais contre la Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) que les chibanis bataillent. Cette caisse de retraite a notifié aux retraités maghrébins du foyer Adoma, à Strasbourg, l’arrêt du versement de leur minimum vieillesse, aujourd’hui appelée allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), indique sur sa page Facebook Mustapha El Hamdani, coordinateur de projet au sein de la Coordination alsacienne de l’immigration maghrébine (Calima). Yabiladi a pu prendre connaissance de certains courriers.

«En septembre, lors d’une descente de la Carsat dans un foyer où il y a une forte concentration de chibanis, des convocations ont été déposées pour leur demander de se présenter à la Carsat, passeport exigé. C’était pendant la période de l’Aïd, ils étaient tous partis», explique à Yabiladi le responsable associatif.

«Ce sont des immigrés qui sont là depuis les années 60, voire même depuis la fin des années 50. Ils n’ont pas accordé beaucoup d’importance aux papiers, puis avec le «mythe du retour», ils n’ont pas non plus prêté beaucoup d’attention à leur retraite», reconnaît Mustapha El Hamdani. «Ceci dit, ces contrôles s’effectuent sur la base de leur nationalité, ce qui est interdit en France. On contrôle les gens sur la base de leur pièce d’identité, pas sur leur passeport. La Carsat contourne la loi», dénonce-t-il.

Caractère discriminatoire fondé sur la nationalité

«En ce qui concerne le bénéfice des prestations, l'égalité de traitement doit être assurée sans condition de résidence. Toutefois, elle peut être subordonnée à une condition de résidence, en ce qui concerne les prestations d'une branche de sécurité sociale déterminée, à l'égard des ressortissants de tout Membre dont la législation subordonne l'octroi des prestations de la même branche à une condition de résidence sur son territoire», stipule l’article 4 de la Convention 118 sur l'égalité de traitement de l’Organisation internationale du travail (OIT).

En l’occurrence, la Carsat exige six mois de résidence, contre huit mois pour recevoir l’aide personnalisée au logement (APL) de la Caisse d’allocations familiales (CAF). En fait, ceux qui n’ont pas respecté les délais de résidence se voient dans l’obligation de rembourser le versement de leurs allocations. Oui, mais voilà : «C’est à la Carsat de prouver que ces chibanis sont partis plus de six mois en Algérie ou au Maroc. La charge n’incombe pas que les victimes ; elle incombe les deux parties», revendique Mustapha El Hamdani. «Ce n’est pas parce qu’ils sont partis plus de six mois que leur résidence n’est pas en France», insiste-t-il.

«La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation», énonce également l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Enfin, l’article 5 de la Directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, est du même acabit : «Les États membres devraient mettre en œuvre les dispositions de la présente directive sans faire de discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.»

«Reconnaissance du droit fondamental d’aller et venir sans suspension des droits sociaux en France»

«En France, certains «patrons voyous» ne les ont pas déclarés et en fin de carrière, au moment de valider leur trimestre, ils se sont retrouvés avec 250, 300 euros de retraite. Aussi, par moment, ils étaient dans une sorte de va-et-vient. Parfois, ils partaient plus de cinq, six mois, voire parfois un an au Maroc, tout ça dans une logique de gagner plus d’argent pour établir un petit fonds de commerce pour nourrir leur famille. Ils se retrouvent aujourd’hui avec une retraite très faible», poursuit Mustapha El Hamdani. Depuis le 1er avril 2017, le montant de l’Aspa est de 803 euros par mois pour une personne seule sans ressources, contre 1 247 pour deux personnes sans ressources, indique le site Droit-finances.net. Une première augmentation de 30 euros aura lieu le 1er avril 2018 ; l’Aspa 2018 devrait donc être de 833 euros par mois pour une personne seule sans ressources.

Dans un communiqué, la Calima réclame «l’arrêt immédiat du harcèlement et des contrôles discriminatoires contre ces chibanis, une réelle écoute des vieux migrants et une concertation avec les associations, le respect des textes et leur application avec discernement et humanité, dans le respect de la dignité des chibanis et chibanias, une reconnaissance du droit fondamental d’aller et venir sans suspension des droits sociaux en France».

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