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Grand Angle

Pourquoi certaines Marocaines enlèvent-elles leur voile une fois en France ?

Nombreuses sont les Marocaines qui choisissent de porter le voile, par conviction, par suivisme ou pour de nombreuses autres raisons. Toutefois, certaines d’entre elles, une fois établies en France, décident de s’en délester. Zoom sur cette question avec le témoignage de trois Marocaines établies en France et l’avis du psychosociologue et universitaire Mouhcine Benzakour.

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Photo d'illustration. / DR
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Certaines Marocaines s’envolent en France, soit pour leurs études, soit pour s’y établir. Pour celles voilées, certaines choisissent d’enlever leur voile, la France étant un pays laïque où la question du hijab fait souvent débat. Pour comprendre leurs différentes raisons, nous avons posé la question à trois Marocaines établies dans l’Hexagone. Elles ont accepté de témoigner mais uniquement de manière anonyme.

Khaoula*, 24 ans, est établie en France depuis quatre ans. Sa première année dans l’Hexagone, elle l’a passée voilée alors qu’elle étudiait dans une école de commerce. Puis, avec le temps et beaucoup de réflexion, elle a décidé d’enlever son voile. «Le choix de retirer mon voile était réfléchi. J'ai simplement décidé de l'enlever lorsque je suis entrée dans la vie active», nous répond-t-elle. Khaoula dit aussi qu’en gardant son foulard, elle risquait de ne pas trouver un travail ou un stage. «En même temps, je ne voulais pas vivre avec deux visages, deux personnalités ; l’une avec les collègues et l’autre à l'extérieur, donc j’ai choisi d’assumer et de l’enlever», nous confie la jeune femme.

«En France, le voile est devenu un obstacle pour les jeunes filles musulmanes. Trouver un travail en étant voilée, c’est presque une mission impossible. J'adore la France pour ses valeurs mais il y a quand même un certain racisme envers les musulmans de France. J’en ai subi, que ce soit avec ou sans mon voile.»

Un retrait imposé par l’école de commerce

Sofia*, 25 ans, s’est heurtée à une autre réalité. «L'école de commerce de Pau m'a imposé de retirer mon voile. Une réunion avait été organisée avec tous les professeurs de l'école et s’était soldée par un ‘’oui’’ contre le port du voile au sein de l’établissement», se souvient la jeune femme. Elle a récemment commencé à travailler à Paris après avoir obtenu son diplôme.

Sofia revient aussi sur les difficultés à trouver du travail en étant une fille voilée. «Les Français ne vont jamais accepter une fille voilée, sauf certaines multinationales basées en France comme Ikea qui leur permettent de travailler sans aucun problème», nous dit-elle.

«Je ne dirais pas que j’ai vécu des discriminations, mais je me sentais parfois à l’écart. Quand je remettais le voile en sortant de l'école, mes potes ne me reconnaissaient pas. Pas mal de personnes me questionnaient sur le port du voile et ça devenait embêtant à la fin.»

C’est ainsi que dès sa deuxième année en école de commerce, Sofia décide de se délester du voile.

Ghita*, elle, a carrément enlevé son voile dès son arrivée en France. «J’ai commencé à le porter quand j’avais 18 ans», se souvient-elle. «C’était une décision certes réfléchie mais guidée par une volonté de prouver à Dieu ma gratitude. J’avoue qu’à cet âge-là, on a plus envie de se montrer, ou plutôt de se révéler. J’ai réfréné cette envie», explique-t-elle. A l’époque, enlever le voile lui était inconcevable.

«Ma mère me l’a dit clairement : "tu pars en France à une seule condition : tu enlèves ce voile. Tu ne vas pas être tranquille sinon. La société française est raciste envers nous. Tu t’embarques seule dans un pays que tu ne connais pas, ne te rajoute pas des problèmes !" Elle m’a vite convaincue, comme si j’attendais juste ses paroles pour l’enlever, le supprimer, le gommer. Je ne dis pas sa péjorativement, mais je sentais que le voile commençait à m’étouffer.»

Conflit intérieur

Contacté ce jeudi par Yabiladi, le psychosociologue et professeur à l’université Chouaib Doukkali d’El Jadida, Mouhcine Benzakour nous explique que «plusieurs cas de figure se distinguent». «Cela dépend du profil des personnes qui enlèvent le voile», poursuit-il.

Comme l’a relaté Khaoula, le psychosociologue explique que certaines femmes sont «contraintes de retirer leur voile pour des raisons professionnelles, notamment lorsqu’elles ont vraiment besoin de ce travail». Il rappelle aussi que certaines l’enlèvent au travail et le remettent à l’extérieur.

Pour d’autres, le professeur universitaire explique que le port du voile, à la base, ne relevait pas de la conviction mais du suivisme. «Une fois qu’elles sont à l’étranger, en France par exemple, ces femmes voilées découvrent d’autres alternatives et sont confrontées à d’autres façons de vivre. Elles prennent donc goût à leur nouvelle vie et veulent ressembler aux autres», poursuit-il. Mouhcine Benzakour estime aussi que pour cette catégorie, «le foulard n’aura été qu’un accident de parcours.»

Notre interlocuteur passe ensuite à une troisième catégorie, celles des femmes voilées ayant choisi de mettre le voile par conviction. Il explique ensuite leur décision finale par le doute qui s’installe une fois à l’étranger.

«Elles ont peut-être eu des doutes dont on ne peut connaître l’origine. Une fois en France, elles ont l’opportunité de réévaluer leurs convictions et leur façon de voir les choses. Ce n’est pas du suivisme, c’est un conflit intérieur de pensée. A un moment donné, elles n’ont eu qu’une seule façon de voir le monde, de se voir elles-mêmes. Elles entrent en conflit avec leurs valeurs et celles d’un pays où la position de la femme est complètement différente. Il y a ce conflit qui s’installe et les pousse à enlever un foulard pourtant porté par conviction.»

Le dernier cas de figure concerne les femmes à qui le voile a été imposé, notamment par leur entourage. «Quand c’est imposé, soit elles acceptent la situation, soit elles la subissent», observe Mouhcine Benzakour. «C’est comme si on lui imposait une manière de vivre. Elles n’ont pas un esprit suffisamment critique pour pouvoir prendre du recul. Elles ne pouvaient peut-être pas non plus entrer dans un conflit avec les leurs et défendre pleinement leur position», ajoute-t-il.

* Les prénoms ont été changés.

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