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Grand Angle

Seize ans après le discours d'Ajdir, la reconnaissance de l'amazighe est-elle satisfaisante ?

Le Maroc célèbre ce mardi 17 octobre le 16e anniversaire du discours royal d’Ajdir, lors duquel le roi Mohammed VI avait reconnu que l’amazighe constitue un élément principal de la culture nationale. Seize ans après ce discours, l’amazighe a-t-elle retrouvé sa place tant désirée ? Les réponses d’Ahmed Boukous, Ahmed Assid et Ahmed Dgharni.

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Photo d'illustration. / DR
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Le 17 octobre 2001, le roi Mohammed VI présidait à Ajdir (province de Khénifra) la cérémonie d'apposition du sceau chérifien scellant le dahir créant et organisant l'Institut royal de la culture amazighe (IRCAM). Un discours dans lequel le souverain affirmait que «l'amazighité qui plonge ses racines au plus profond de l'histoire du peuple marocain appartient à tous les Marocains» et qu’elle «constitue un élément principal de la culture nationale, et un patrimoine culturel dont la présence est manifestée dans toutes les expressions de l'histoire et de la civilisation marocaine». C’est aussi lors de ce même discours que le roi Mohammed VI érigera la promotion de l’amazighe en tant que responsabilité nationale et collective.

«La promotion de l'amazighe est une responsabilité nationale, car aucune culture nationale ne peut renier ses racines historiques. Elle se doit, en outre, de s'ouvrir et de récuser tout cloisonnement, afin qu'elle puisse réaliser le développement indispensable à la pérennité et au progrès de toute civilisation. Ainsi, en s'acquittant de ses missions de sauvegarde, de promotion et de renforcement de la place de la culture amazighe dans l'espace éducatif, socioculturel et médiatique national, l'Institut royal de la culture amazighe lui donnera une nouvelle impulsion en tant que richesse nationale et source de fierté pour tous les Marocains.»

«L'acte que nous allons accomplir aujourd'hui n'est pas seulement lié à une lecture de notre histoire, c'est surtout un acte de foi en l'avenir, l'avenir du Maroc de la solidarité et de la cohésion, le Maroc de la volonté et de l'effort, le Maroc de la vertu, de la pondération et de la sérénité, le Maroc de tous (…)», indiquait le souverain.

Depuis cette date, les choses ont évolué sur la reconnaissance de l’amazighe en tant que composante essentielle de l’identité marocaine. Création de l’IRCAM, constitutionnalisation de l'amazighe, création de la chaîne nationale Tamazight, enseignement de la langue… Plusieurs acquis que brandissent fièrement les militants du mouvement amazigh.

Des entraves qui disparaîtront avec la loi organique sur l’officialisation

Concrètement, quels sont les changements qui ont été opérés depuis le discours royal d’Ajdir ? Pour Ahmed Boukous, recteur de l'Institut royal de la culture amazighe, «ce discours a permis au Maroc d’entamer plusieurs expériences et stratégies notamment dans le cadre de l’éducation, l’enseignement, l’information et la production culturelle, ce qui a contribué à la constitution des socles du paysage culturel et linguistique du royaume».

«Beaucoup de choses ont été réalisées. D’abord, la fierté de l’identité amazighe et l’identité nationale, marquées par la pluralité des affluents. L’amazighe a également été intégrée dans la Charte nationale d’éducation et de formation, et officiellement intégrée dans le paysage médiatique avec la création de la huitième chaîne, Tamazight. Il y a beaucoup d’efforts qui doivent être cités avec fierté.»

Ahmed Boukous reconnaît toutefois quelques entraves qui ont «empêché la généralisation de l’enseignement de l’amazighe dans toutes les écoles et à tous les niveaux». Il cite aussi la faiblesse des ressources humaines, conséquence du départ de certains enseignants vers d’autres matières. «Nous avons des lauréats formés pour enseigner l’amazighe, dont certains n’ont pas été appelés à assurer leurs missions», poursuit-il.

Optimiste, le président de l’IRCAM dit penser qu’avec la promulgation des deux lois organiques, celles sur l’officialisation de l’amazighe et l'autre relative aux prérogatives de l’Institut supérieur des langues et de la culture marocaine, «certaines entraves et difficultés du processus de la reconnaissance officielle de l’amazighe disparaîtront». «Nous passerons donc à une nouvelle ère de la politique culturelle et linguistique de notre pays», conclut-il.

L’Etat se contente de donner des signes sans veiller à les appliquer

L’activiste amazigh Ahmed Assid évoque quant à lui deux volets - académique et politique. Sur le premier, il reconnaît la réalisation de plusieurs avancées à l’instar de l’enseignement de l’amazighe dans les écoles, la formation de 14 000 enseignants, le soutien financier et institutionnel aux ONG amazighes et la création de la chaîne Tamazight. «Sur le front académique, nous avons enregistré plusieurs victoires, ce qui a constitué une nouvelle étape pour la culture amazighe», dit-il. Mais, «parce qu’il y a un mais», au Maroc, le problème réside dans la concrétisation de ces acquis au niveau institutionnel, estime notre interlocuteur.

«Nous nous sommes retrouvés face à une situation où la volonté de l’Etat est claire, exprimée lors du discours d’Ajdir et officialisée dans la Constitution. Toutefois, c’est bien depuis cette constitutionnalisation que nous enregistrons un recul. Nous pensions que les assurances constitutionnelles protègeraient la décision politique mais c’est le contraire qui s’est produit.»

Pour Ahmed Assid, depuis 2011, les responsables de l’Etat n’accordent plus la même attention à l’amazighe. De plus, l’activiste critique la loi organique sur l’officialisation de l’amazighe, un projet «qui porte atteinte à l’amazighe et ses acquis». «L’IRCAM a donc remplit sa mission sur le volet académique mais l’Etat se contente de donner des signes sans veiller à les appliquer sur le terrain», regrette-t-il.

«La loi organique doit être équitable pour accorder à l’amazighe sa place en tant que langue pour tous les Marocains. L’amazighe doit être officialisée horizontalement et verticalement sur l’ensemble du territoire marocain, de sorte qu’elle soit sur le même piédestal que l’arabe», ajoute Ahmed Assid. «Cette égalité entre l’amazighe et l’arabe doit être mise en exergue par la loi organique et appliquée dès sa prolongation.»

Mais l’évolution reste «majeure»…

De son côté, l’activiste Ahmed Dgharni estime qu’entre le discours d’Ajdir et aujourd’hui, beaucoup d’acquis restent à souligner, dont «la constitutionnalisation en 2011». «C’est depuis cette date que les discours des partis politiques sur l’amazighe ont changé pour ne pas être en contradiction avec celui du Roi», rappelle-t-il. L’occasion pour lui de citer également «les cahiers des charges des chaînes publiques qui imposent 30% de programmes en langue amazighe».

«Il y a eu l’autorisation de brandir le drapeau amazigh à toutes les occasions. Ce drapeau est devenu un drapeau national. Je cite aussi le projet d’enseignement de la langue amazighe, même s’il piétine. Avant la constitutionnalisation et le discours d’Ajdir, c’était juste inconcevable et impossible d’imaginer tout cela. Il y a au total cinq ou six acquis majeurs.»

Pour Ahmed Dgharni, «il certaines choses doivent encore être améliorées». Notre interlocuteur évoque notamment «la qualification du Maroc en tant que pays arabe malgré la pluralité de son histoire», reconnaissant cependant qu’en matière d’acquis, l’évolution reste «majeure».

Sur la loi organique sur l’amazighe, Ahmed Dgharni ne mâche pas ses mots. «Personnellement, je pense que le projet de loi vise à entraver le processus de l’officialisation de la langue amazighe, c’est un échec. Ce ne sont que des restrictions imposées par la Commission consultative de révision de la Constitution à travers la loi organique. Heureusement, les entraves s’effacent petit à petit. Avec ou sans loi organique, tout semble avancer.»

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