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Interview

Zaineb Sefiani : «Il faut éduquer le consommateur sur la finance islamique» [Interview]

Experte internationale en finance islamique, Zaineb Sefiani figure dans le classement des 50 meilleures femmes influentes dans le monde dans ce domaine. Professeure à l’université de Dubaï et à l’université Paris-Dauphine, elle est également fondatrice des cabinets Islamic Finance Navigator, Carrera Learning et Ken Advisors. Entretien.

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Photo d'illustration. / DR
Temps de lecture: 3'

Comment vous est venue l’idée de vous spécialiser dans la finance islamique ?

Pendant que je préparais mon master sur les investissements en Angleterre, je cherchais un sujet intéressant pour mon mémoire de fin d'études. Je voulais traiter un sujet nouveau, innovant, qui pourrait me conduire vers un métier d’avenir avec un grand potentiel de développement.

J’ai fait une session de brainstorming avec des membres de ma famille et c'est à ce moment-là que mon père a suggéré l’idée de la finance islamique. À cette époque, la finance participative au Maroc n'était pas d'actualité et encore moins citée comme un objectif prioritaire, mais j’ai aimé l'idée. J'en ai parlé à mon encadrant de thèse qui a soutenu mon projet.

Quelle dynamique envisagez-vous pour la finance islamique au Maroc ?

Au Maroc, les lois et les produits financiers conventionnels ainsi que le droit commercial sont inspirés de la loi française et du droit musulman. En finance islamique, les pays qui ont réussi avec succès à offrir des produits islamiques se sont beaucoup inspirés, outre la Charia’, du droit britannique, qui est essentiellement un droit coutumier, par conséquent beaucoup plus flexible et susceptible de fonctionner en symbiose avec les règles prescrites par le Fiqh Al-Mouamalate (code du commerce).

En effet, certains pays européens de droit latin comme la France et la Belgique proposent des produits islamiques, mais la clientèle n’est pas aussi importante que le potentiel des clients.

Les pays les plus avancés sur le sujet, notamment au Moyen-Orient et en Malaisie, ont su trouver la bonne formule alliant la Charia’ et le droit anglais pour édicter les règles de la finance islamique.

Le développement des produits participatifs au Maroc va prendre du temps, d’autant que certains concepts, comme celui du «beneficial ownership», n’existent que dans le droit anglais. Il reste aussi à s'assurer que les produits offerts sont compétitifs grâce à la légalisation fiscale entre autres, et enfin que les commerciaux les comprennent bien pour qu'ils puissent expliquer aux clients la différence entre l'offre conventionnelle et l'offre participative. Ceci étant, le Maroc peut et doit réussir dans ce domaine s'il sait faire preuve du pragmatisme nécessaire.

Quelles sont les pistes envisageables pour que la finance islamique soit profitable à tous, tant aux acteurs qu’aux consommateurs ?

Il faut avoir une offre attractive ou au minimum similaire à l'offre conventionnelle. La diversité des produits doit être là pour que le client puisse trouver toute la gamme de produits dont il a besoin. Encore une fois, le coût d’un financement doit être similaire au conventionnel. Si les produits islamiques sont plus chers, la clientèle sera plus réduite. 

Sur quels aspects les autorités marocaines devront mettre l’accent pour que la finance islamique soit un véritable acteur, à la fois dans la collecte de l'épargne et le financement de l'économie ?

Les autorités marocaines doivent avoir une vision à long terme et cibler tous les acteurs impliqués dans la finance participative au Maroc. Il y a le consommateur et ceux qui offrent des produits comme les banques ou les sociétés de gestion, les éducateurs ainsi que les investisseurs et enfin les oulémas, qui doivent labelliser les produits.

Les autorités devraient mettre l'accent sur tous ces aspects. Quant au consommateur, il faut l'éduquer ; lui faire connaître l'existence et l'avantage de ces produits participatifs. A Oman par exemple, après le lancement de produits islamiques et suite à une campagne de sensibilisation bien menée, il y a eu à la fois des utilisateurs qui sont passés du conventionnel à l'islamique, mais aussi de nouveaux épargnants qui faisaient de la thésaurisation et qui sont venus parfois avec des billets de banque qui n'étaient plus en circulation.

Les banques, elles, doivent trouver un moyen facile de permettre à leurs clients de switcher rapidement des comptes courants classiques aux comptes courants participatifs. Comme je l’ai dit, il faut également que les commerciaux aient une formation suffisante pour comprendre les produits et savoir les expliquer aux clients.

Des formations adéquates doivent être aussi offertes au niveau des universités. Certes, il y a actuellement plusieurs masters qui sont proposés au Maroc sur cette niche mais la formation doit être beaucoup plus pointue et dispensée pour l'essentiel par des praticiens comme cela se fait dans les places financières comme Londres.

Les autorités doivent également penser aux moyens de favoriser davantage le développement d'un autre produit complémentaire mais indispensable : «l'assurance islamique», également appelée Takaful.

Enfin, pour Casablanca Finance City (CFC), qui souhaite devenir la porte d'investissement pour le Maroc et l'Afrique, il y a là aussi un énorme potentiel à explorer pour que celle-ci devienne le véritable passage obligé de la finance islamique en direction du continent.

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