«L’Etat a pris une excellente initiative quand il a décidé que tous ceux qui avaient bénéficié de l’opération de régularisation exceptionnelle seraient exemptés de l’autorisation de travail de l’Anapec liée à la préférence nationale», s’enthousiasme Ali Serhani, président de la commission Emploi et Relations sociales. Le 28 septembre dernier, il a fait partie des trois représentants du secteur privé de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) et de la Confédération marocaine des TPE-PME entendus par le ministère délégué chargé des Marocains résidant à l’étranger et des affaires de la migration, dans le cadre de la contribution du Maroc au Pacte mondial sur les migrations.
Le 19 septembre 2016, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté, dans la Déclaration de New York, un ensemble d’engagements destinés à améliorer la protection des réfugiés et des migrants. Elle s’engage notamment à adopter deux nouveaux traités mondiaux en 2018 : le Pacte mondial sur les réfugiés et le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. «Une première phase de consultations nationales a été organisée d’avril à novembre 2017 dans les pays qui le souhaitent, comme le Maroc, pour dégager des propositions qui seront regroupées lors d’une réunion préparatoire en décembre au Mexique. Le secrétaire général des Nation unies proposera un projet de texte pour ce Pacte mondial. Il sera ensuite négocié afin d’être adopté dans un an, en septembre 2018», détaille Ana Fonseca, cheffe de mission de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) Maroc. Dans ce cadre, le Maroc a organisé une consultation nationale du 26 au 29 septembre pour écouter la société civile, les chercheurs, le secteur privé et les institutions du pays avant de présenter ses propositions.
Préférence nationale
Peu représenté, mal informé ou indifférent, le patronat s’est distingué par sa méconnaissance du sujet et la rareté de ses propositions. Sans surprise, ses rares représentants se sont cependant montrés très favorables aux évolutions récentes de la politique migratoire du Maroc. Partout dans le monde, le secteur privé prône en effet la libéralisation et l’élargissement du marché du travail. «L’autorisation de l’Anapec (Agence nationale de promotion de l'emploi et des compétences, ndlr) exigeait notamment des entreprises, au nom de la préférence nationale, de publier à leurs frais des offres d’emplois dans des quotidiens arabophones et francophones pour chaque recrutement d’étranger (dans le cadre d'un contrat local) afin de s’assurer qu’aucun national ne correspondait au profil recherché. En la supprimant pour les personnes qui ont été régularisées en 2014, l’Etat a levé tous les freins à leur embauche», estime Ali Serhani. Cette décision cependant, si elle aide très concrètement les étrangers à trouver une place et un travail au Maroc, crée également une injustice entre les étrangers régularisés en 2014 et tous les autres.
De plus, le gouvernement a déjà levé d’autres barrières à l’accès au travail salarié et indépendant des étrangers. Deux lois règlementant l’exercice des infirmières et des sages-femmes promulguées en 2016 ouvrent désormais ces professions aux étrangers. Ils ont également le droit de devenir auto-entrepreneur, ou de créer ou participer à une coopérative. Ces ouvertures sont cependant plus réduites qu’elles n’en ont l’air car elles ne concernent que les étrangers qui disposent déjà d’une carte de résident ; or aucune réforme durable n’a été faite en la matière : les opérations de régularisation sont pas nature exceptionnelles, de la même façon que la suppression de l’autorisation de travail de l’Anapec ne concerne que les personnes récemment régularisées.
Des conventions avec d’autres pays africains ?
Sans souhaiter que l’Etat marocain renonce définitivement à la préférence nationale, Ali Serhani invite cependant le gouvernement à réfléchir également à l’extension des conventions d’établissement avec d’autres Etats. Aujourd’hui, en dehors de l’exception offerte aux personnes régularisées en 2014, seuls les ressortissants de Tunisie, d’Algérie et du Sénégal peuvent non seulement venir au Maroc sans visa, mais également avoir accès au marché du travail sans restriction, comme un Marocain. «Dans le cadre de la politique africaine du Maroc et au regard de tous les investissements qui sont et seront réalisés en Afrique, pourquoi ne pas envisager à moyen et long terme la signature de conventions d’établissements avec plusieurs pays africains où la présence marocaine est très forte. Je pense par exemple au Gabon ou à la Côte d’Ivoire, avec lesquels nous avons d’excellentes relations», suggère Ali Serhani.
En fait, le Maroc, en adhérant à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), irait beaucoup plus loin car il s’agit d’un espace de libre circulation des personnes. «Il y a un consensus national croissant selon lequel l’incidence de la migration irrégulière ne peut être réduite sans (…) proposer un élargissement des voies régulières de la migration, souligne le ministère délégué chargé des Affaires de la migration. Dans ce cadre, le retour du Maroc au sein de l’Union africaine et son adhésion possible au sein de la CEDEAO - avec la liberté de circulation et d’établissement que celle-ci implique -, seront de nature à contribuer à la réduction de la migration irrégulière.»