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Interview

De 2012 à 2017 : Aouatef Khelloqi revient sur sa rencontre avec les Rohingyas de Birmanie [interview]

Les Rohingyas de Birmanie sont au cœur de l’actualité ces dernières semaines. Cette minorité musulmane subit des persécutions de la part du régime birman et de milices bouddhistes. La crise humanitaire est alarmante. Aouatef Khelloqi est une réalisatrice franco-marocaine qui est partie à la rencontre de cette communauté il y a quelques années. Entretien.

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Aouatef Khelloqi. / Ph. Facebook
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Les Rohingyas de Birmanie, connaissent depuis le 25 août dernier une reprise des violences, avec plus de 400 morts. Depuis, ils sont près de 87 000 à s’être déplacés au Bangladesh, selon les chiffres de l’ONU. 20 000 personnes sont encore coincées dans l’attente de franchir la frontière. Ils sont considérés comme l’un des peuples les plus persécutés au monde et sont apatrides.

En 2013, Aouatef Khelloqi était allée à la rencontre de cette minorité ethnique dans le documentaire «The stateless Rohingyas» que la Franco-marocaine a co-réalisé. Interview.

Pourquoi avoir effectué ce documentaire en 2013 ?

Il faut savoir qu’en 2012, il y avait eu un massacre dans la région de l’Arakan (côte occidentale de la Birmanie) dans la ville de Sittwe avec des affrontements. À cette époque ce n’était absolument pas médiatisé et c’était la période où la Birmanie s’ouvrait économiquement au reste du monde. Par la suite, il y a eu la levée des sanctions vis-à-vis de la Birmanie alors que ce massacre avait lieu et personne n’en parlait. Pour moi c’était important qu’on puisse mettre la lumière sur ce peuple et c’est comme ça que je me suis intéressée au Rohingyas. Le massacre ne date pas de cette année, ça fait à peu près une décennie que ça dure, mais ça s’est accentué en 2012.

Qu’est ce qui vous a poussée à vous intéresser spécialement à cette communauté des Rohingyas?

C'est qu'au travers de mon travail de réalisatrice je m'intéresse au sort des minorités ethniques notamment en Asie. C’est un peuple laissé à l’abandon. A l’époque, même les pays musulmans ne s’en préoccupaient pas. Je voulais porter l’attention vis-à-vis d’eux.

Les Rohingyas subissent de nouvelles exactions du régime birman. Pourquoi rien a changé depuis 2012 ?

C’était prévisible. On avait interviewé tous les acteurs que ça soit en France ou en Angleterre. Pour eux, ce massacre allait générer une épuration ethnique. Y’a les Barmas qui constituent 70% de la population des Birmans, et le reste c’est des minorités ethniques. Depuis 1982, ils considèrent que les Rohingyas ne sont pas Birmans. Ils leur ont retiré la nationalité, donc ce peuple est apatride. Ils les considèrent comme des Bengalis, des immigrés qui viennent s’installer sur leurs terres. Comme, ils sont plus nombreux, ils veulent vraiment les chasser de leurs terres.

La communauté internationale n’a pas réagi vis-à-vis de ce qui se passait en ce moment-là. C’était un pays où il fallait créer des liens économiques. Barack Obama était le premier président américain à se déplacer en Birmanie, en novembre 2012. Il devait mettre en place pour la première fois des élections présidentielles qui étaient prévues en 2015. Aung San Suu Kyi (Chef du gouvernement birman, ndlr) faisait partie du parlement. La communauté internationale espérait un revirement démocratique de ce pays. Du coup, ils ont passé sous silence cette épuration ethnique. Quand il y’a eu les affrontements à Sittwe en 2012, il y a eu l’état d’urgence. Personne ne pouvait rentrer dans cette région, pendant trois mois. Pour calmer les ardeurs de certaines ONG, l’Etat du gouvernement et le président de l'époque Tien Shen notamment ont mis en place une commission nationale pour comprendre ce qui s’était passé et éviter une enquête internationale.

Comment expliquez-vous la timide médiatisation de cette affaire ?

Là j’ai l’impression qu’on est au bout de cette épuration ethnique, pour moi c’est un génocide. Ils ne veulent pas utiliser ce terme parce que c’est un terme qui est défini. Je pense qu’on est au bout. Si on ne fait rien, c’est un peuple qui est amené à disparaître. J’espère que les choses vont bouger. Là je vois que Aung San Suu Kyi n’intervient pas, pour elle il se passe pas grand chose. Il faut que la communauté internationale et les medias se rendent compte de la gravité de la situation.

Il ne faut pas oublier, qu’en 2012 quand on essayait de faire connaître cette cause on n’a pas été entendus, parce que c’est loin du continent européen. Ils devaient croire en la démocratisation de la Birmanie et c’est aussi un peuple de confession musulmane. C’est malheureux à dire, j’ai l’impression qu’il y’a des sous catégories. Il faut pouvoir agir parce que ça va pas aller en s’améliorant.

A l’époque il y a eu plus de 100 000 déplacés. Ils avaient fermé les frontières au Bangladesh. Ils étaient condamnés, ils essayaient de se déplacer en Asie du sud-est, en Thaïlande. Ils se retrouvaient dans des trafics humains. Personne ne réagissait au niveau des politiques.

Il y a pourtant quelques rapports de certaines ONG. En 2013, il y a eu le rapport d’Human Rights Watch qui tentait d’alerter et qui expliquait que c’était les gouvernements birmans successifs qui encourageaient les meurtres à travers l’armée et en laissant ainsi faire les moines bouddhistes. Ces derniers ne sont pas tendres dans la région d’Araka.

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