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Grand Angle  

Diaspo #4 : David Serero, Marocain avant tout

Le chanteur d'opéra revient sur ses origines marocaines, sources d’inspiration, et son rapport au pays de son père. Surtout, David Serero raconte comment le Maroc façonne son travail d’artiste. Portrait.

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«C’est en vivant aux Etats-Unis que j’ai réalisé que j’étais plus Marocain qu’autre chose», dit David Serero. / Ph. David Serero
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Même de l’autre côté de l’Atlantique, le baryton David Serero, né à Paris, n’oublie pas ses origines marocaines et fassies ; c’est d’ailleurs auprès d’elles qu’il puise son inspiration. Comme avec «Othello, le Maure de Venise», célèbre tragédie shakespearienne qu’il a adaptée dans une version judéo-marocaine en juillet 2016 au Centre d'histoire juive de Manhattan.

«C’est en vivant aux Etats-Unis que j’ai réalisé que j’étais plus Marocain qu’autre chose. C’est quand vous êtes loin de tout que vous réalisez qui vous êtes. Mon tempérament, mon envie de créer, de faire des choses, la façon avec laquelle je vais vers les gens, la main sur l’épaule, toujours avec le sourire en disant ‘ne vous inquiétez pas, on va trouver une solution’, c’est très Marocain», confie-t-il à Yabiladi. «Je pense que ça influe mon travail sur scène et en dehors de la scène : pour moi, il n’y a jamais de problèmes, que des solutions. Sur scène, je ne suis jamais dans la retenue, je donne absolument tout. Je tiens à ce que le spectateur reparte extrêmement heureux. Je monte sur scène pour que tout le monde dans la salle, tous les individus, passent une très belle soirée. Ce côté philanthrope, il me vient du Maroc», assure-t-il.

Adolescent, c’est en France qu’il passe ses étés, a contrario des milliers de Marocains résidant à l’étranger qui font escale au royaume le temps d’une saison estivale. «Souvent, je ne voyageais pas, je restais à Paris. J’allais au Maroc seulement en janvier et en février, lorsqu’il faisait très froid en France.» C’est que le froid, David Serero en a une sainte horreur ! «Je crois que je suis le premier Marocain à être allé vivre à Saint-Pétersbourg lorsqu’il faisait -20 degrés. Je déteste le froid ; dès qu’il fait moins de 10 degrés, j’ai trois blousons, cinq pulls…», plaisante-t-il.

«Un Marocain à l’opéra, il en fallait un !»

C’est pourtant en Russie, où il a vécu deux ans, que ses pairs et professeurs décèlent en lui un potentiel plus qu’exploitable. Car depuis quelques années déjà, David Serero «sait» que ce sera l’opéra ou rien : «J’ai toujours chanté. Je faisais du théâtre et du piano. On m’a conseillé de me rapprocher de la comédie musicale. A cette époque, je vivais déjà à New York. J’avais 20 ans. Quand j’ai commencé à me produire sur scène dans des comédies musicales, on m’a fait remarquer que j’avais une voix pour l’opéra. Puis un soir, j’y suis allé, à l’opéra, complètement par hasard. Le soir même, en rentrant chez moi, je me suis dit : ‘c’est ce que je veux faire’. Bien sûr, comme tous les Marocains, quand on décide quelque chose, on va jusqu’au bout.»

Lorsqu’il fait ses débuts, peu convaincu - «je pensais qu’il fallait peser 300 kilos pour pouvoir chanter !» -, David Serero se heurte aux clichés qui régissent les codes de cet art lyrique venu d’Italie. «Quand j’ai démarré, j’ai tout entendu. On m’a dit ‘mais tu es Marocain, qu’est-ce que tu connais à l’opéra ?’», raconte-t-il. Devant sa passion grandissante, ses professeurs russes font fi de ses origines : «Ils m’adoraient car ils savaient que j’étais passionné même si je n’avais pas les moyens techniques et vocaux qu’ils ont. C’était extraordinaire.»

Très vite, ce touche-à-tout veut apporter à l’opéra une touche de modernité, dont il juge le style «assez vieillissant» : «J’ai essayé d’apporter mon propre dynamisme, j’ai changé la façon avec laquelle on parle de l’opéra et la manière dont on fait les concerts d’opéra. J’en suis très fier. Les Marocains aiment casser les barrières. C’est pour ça qu’un Marocain à l’opéra, il n’y en a pas tant que ça. Il en fallait un !»

Hormis l’«endurance dans la difficulté», le Maroc lui a aussi appris à être «un meilleur juif». «C’est le seul pays où il n’y a pas de musulmans, pas de juifs, pas de catholiques ; il n’y a que des Marocains», dit-il en référence au roi Mohammed V, qui protégea la communauté juive marocaine du nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale. «Quand on me demande si je suis juif, je dis oui, bien sûr, mais je dis aussi que je suis Marocain avant tout. C’est ma façon de rendre hommage à Mohammed V, qui a refusé de livrer des juifs aux nazis. Quand j’ai joué ‘Othello’, à la fin de chaque représentation on rendait hommage à tous les Marocains, à Mohammed V, Hassan II et Mohammed VI. Je suis tellement fier du Maroc.»

Des jeunes filles qui ressemblent à des «Anne Franck»

En France, les relations entre les communautés religieuses ne sont pas du même acabit, remarque David Serero. «Maintenant, quand on rentre dans une synagogue, il y a deux voitures de police, on a presque l’impression de rentrer dans une banque. Au Maroc, il n’y a pas ces problèmes-là. C’est une question de tempérament, d’éducation. Les Marocains ont la notion de respect des parents. Je dis toujours que lorsqu’un Marocain perd cette valeur-là, il met déjà un pied en prison.» Des Etats-Unis, où il vit à plein temps depuis 2014, il salue «les juifs et les musulmans qui dansent et chantent ensemble, loin des considérations politiques».

Celui qui est aussi producteur de comédies musicales est resté proche de la communauté juive française. Le 12 juin 2009, il participe à la commémoration du 80e anniversaire d’Anne Frank dans le cadre du Festival des cultures juives à Paris. «C’était plus une question de culture que de religion. Il y a aujourd’hui plein de jeunes filles qui sont victimes de la bêtise humaine, comme celle qui a été agressée sexuellement dans un bus à Casablanca. Cette fille-là, c’est aussi une Anne Franck», estime le chanteur âgé de 36 ans.

Quant aux «Talents interdits», qu’il a créés pour promouvoir les œuvres d'artistes interdits par le régime nazi, l’artiste souligne l’importance de mettre en avant des «musiciens juifs et non juifs, dont la musique était bannie». «Ils ont écrit des belles musiques, même dans les camps de concentration. Il fallait rendre cette musique, ces partitions accessibles aux musiciens dans les conservatoires.»

Aujourd’hui, le grand projet de David Serero, c’est de rendre accessible l’opéra. Le baryton ambitionne en effet de créer le Festival d’opéra au Maroc, «peut-être en 2018», précise-t-il. «L’opéra a toute sa place là-bas. Le public marocain est très intelligent et cultivé. Les Marocains m’ont appris une chose : la culture, ça ne veut pas dire connaître tout Molière et Shakespeare, ou les morceaux de piano de Chopin, par cœur. La culture, ça peut être un voyage, raconter sa journée, un sourire, une fleur. Les Marocains, dans ce sens, sont extrêmement cultivés.»

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