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Grand Angle

Institut Montaigne : La France serait en «perte d'influence» au Maghreb

Dans un rapport sur la politique de la France dans les pays arabes, l’institut Montaigne s’épanche sur la perte d'influence française en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Le document, dont des extraits ont été repris par Le Point, estime que l’Hexagone s’appuie sur «des régimes dont la stabilité apparente masque de grandes fragilités», dont le Maroc. Compte-rendu.

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Le président français Emmanuel Macron au palais royal à Rabat avec le roi Mohammed VI, le 14 juin 2017. / Ph. Alain Jocard - Reuters
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La France et la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) sont liées par un passé commun. C’est globalement, avec ces mots, que s’ouvre le rapport «Nouveau monde arabe, nouvelle politique arabe pour la France», publié ce mois d'août par l’institut Montaigne. L’enseignant-chercheur Hakim El Karoui, auteur du document, pointe du doigt notamment la perte d'influence française en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

Le document, de 210 pages, dont des extraits ont été publiés par le magazine français Le Point, rappelle d’abord que les «expériences politiques» de la France dans plusieurs pays arabes «ont tissé un lien durable entre la France et cette partie du monde» : «La France vit toujours dans la région et son influence - culturelle, économique, politique, diplomatique et militaire - y est globale.»

Du commerce à l’influence politique, en passant par le rôle de la francophonie et celui des immigrés maghrébins dans l’Hexagone, le document dessine l’image d’une France fortement implantée dans les pays arabes et, inversement, un monde arabe fortement présent en France. «Le Maghreb est un partenaire commercial nettement plus important que le Golfe (…)», rappelle l'auteur. Un Maghreb détaché de sa Mauritanie, le rapport estimant qu’elle appartient à l’Afrique de l’Ouest.

Il évoque notamment les échanges commerciaux entre les deux parties et le volume des remises envoyées par les travailleurs migrants. Hakim El Karoui relève également les signes d’une relation forte entre Paris et les capitales du Maghreb : «Nombre de grands accords économiques transnationaux maghrébins ont été négociés à Paris, quand ce ne sont pas des affaires internes qui ont été négociées en France plutôt que sur place.» L’occasion de rappeler que «l’Omnium Nord Africain (ONA), la fameuse holding royale marocaine, a décidé de fusionner avec la SNI, autre poche de participation de la famille royale». «C’est aux équipes parisiennes de la banque Lazard qu’elle s’est adressée», précise l’auteur.

Le Maroc, le Maghreb et la France

L'analyse, qui s’intéresse aussi aux pays du Golfe et certains Etats arabes comme l’Egypte et le Liban, évoque le Maroc à maintes reprises. Elle lui consacre quelques paragraphes dans lesquels il aborde tantôt l’éducation, l’emploi et l’alphabétisation, tantôt la situation politique. «Le Maroc est un cas complexe», estime Hakim El Karoui, rappelant que le royaume «accuse en effet un important retard sur ses voisins en ce qui concerne entre autres l’accès au savoir et aux idées, notamment chez les femmes». Il avance ensuite que «le Maroc (…) n’a connu ni guerre civile, ni révolution populaire. Le choix de Mohamed VI de donner accès à l’éducation à tous, à rebours de son père, est tout à son honneur».

«Reste maintenant à analyser l’impact de la dynamique progressive d’alphabétisation de l’ensemble de la société, de même que la tendance (certes encore timide) à l’émancipation des femmes par l’accès à l’enseignement supérieur. L’expérience de l’histoire, hors de la région comme dans la région, montre que le risque politique augmente dans ce cas. (…) Le Maroc apparaît à première vue comme l’un des pays les plus stables de la région et les Marocains en savent gré à l’institution monarchique qui structure l’identité nationale marocaine.»

Le think tank français affirme ensuite que «le Palais, s’il joue habilement de son prestige pour fédérer la population marocaine autour du Roi, n’hésite pas non plus à recourir à ses services de sécurité pour réprimer la contestation et encadrer de manière très stricte l’activité des ONG et des médias». Le Palais «a su aussi faire évoluer le parti islamiste au pouvoir en imposant, de fait, un nouveau premier ministre, moins populaire, moins autonome, plus malléable (…) Et l’État n’hésite pas à donner des réponses fermes à la contestation sociale, comme c’est le cas dans le Rif depuis 2016», poursuit-on de même source.

Et de conclure : «L’avenir du Maroc et sa stabilité politique dépendront pour beaucoup de la capacité du Roi à moderniser l’économie, à encourager une redistribution plus importante tout en continuant à faire évoluer le système politique.»

Pour un «néo-réalisme français dans la politique arabe et moyen-orientale»

Pour traduire la perte d’influence française notamment dans le Maghreb, l’institut Montaigne explique que la France, ces dernières années, s’est appuyée d’abord sur le Maroc en Afrique du Nord, ainsi que, plus récemment, le maréchal Sissi en Égypte. Des «régimes dont la stabilité apparente masque de grandes fragilités». «La France ne doit pas reproduire les erreurs commises dans les années 1980, quand elle fit de l’Irak de Saddam Hussein son principal partenaire, avant de devoir abandonner cet allié - et même d’intervenir militairement contre lui», avertit l'étude. Celui-ci appelle la France à «mettre des moyens au service de son ambition régionale qui, dans sa relation avec le Maghreb, est aussi une politique nationale tant les liens avec l’Afrique du Nord sont importants».

«La baisse continue depuis vingt ans des budgets de coopération, du budget de l’action diplomatique, du budget de la Défense alors que ceux de ses voisins européens augmentaient considérablement (l’Allemagne notamment) ne peuvent que contribuer à limiter la capacité d’action française comme son influence économique et politique. Fort de l’ensemble de ces enseignements, il est temps de proposer une nouvelle stratégie pour la France dans le monde arabe.»

En dix ans, le commerce de la France dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord a peu évolué : «Il est passé de 58 milliards d’euros en 2007 à 70 milliards en 2015 alors que, dans le même temps, la Chine doublait son volume d’échanges, passant de 106 milliards en 2007 à plus de 230 milliards en 2015 !»

Hakim El Karoui s’appuie aussi sur un autre constat : «Les parts de marché de la France dans les pays où elle bénéficie historiquement de positions favorables sont en fort recul, face à la montée en puissance de la Chine et à la perte de compétitivité de nos entreprises à l’export.» Puis un troisième, citant cette fois l’Allemagne et les aides publiques au développement (APD) : «Au Maghreb, l’aide allemande est passée de 370 millions de dollars en 2013 à 810 millions en 2015 (dollars constants). L’aide française fait le chemin inverse, passant de 766 millions en 2013 à 403 millions en 2015.»

L'analyse estime enfin que la «politique [française] passée a trop longtemps été marquée par [des] comportements qui sont inefficaces pratiquement, difficilement acceptables moralement et injustifiables politiquement». Il conclut en appelant à un «néo-réalisme français dans la politique arabe et moyen-orientale».

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