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Grand Angle

Géographie migratoire : Le Maroc revient sur la carte

Le nombre de migrants à emprunter la route du Maroc pour se rendre en Europe est en train d’exploser selon les derniers chiffres de Frontex et de l’OIM. A la fin de l’année, le nombre d’entrées irrégulières en Espagne pourrait être supérieur à celui enregistré par la Grèce où le nombre d’arrivées s’est effondré.

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Des migrants fous de joie après avoir reussi à franchir la frontière espagnole de Sebta.
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Nous interrogions, il y a deux ans sur la pérennité de la route migratoire de Méditerranée occidentale face à l’explosion de la fréquentation des routes italienne, turque et européenne suite aux révolutions arabes et à la guerre en Syrie. Aujourd’hui, nous assistons peut-être à un retournement : en juillet le nombre de passages frontaliers irréguliers détectés par Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières, dans la Méditerranée occidentale est trois fois supérieur à ce qu’il était en juillet de l’année dernière. Il a atteint en seulement 7 mois près de 11 000 entrées irrégulières, soit plus que le nombre d’arrivées pendant toute l’année 2016, selon un communiqué de Frontex publié lundi 14 août. Ces chiffres concordent avec ceux donnés mardi par l’Organisation Internationale des Migrations.

Hier, mercredi 16 août, les services de sauvetage espagnols ont annoncé avoir secouru près de 599 personnes à bord de 15 embarcations et d'un scooter des mers entre deux heures du matin et la fin de l'après-midi. A Sebta, la situation est également exceptionnelle. La délégation du gouvernement espagnol de l’enclave a envoyé 80 hommes, principalement des Camerounais, vers le continent, pour décongestionner le Centre d’accueil temporaire des migrants. Conçu pour 512 personnes, il en accueille actuellement près de 800, selon l’agence de presse espagnole Efe, suite à deux arrivées massives de migrants.

En fait, l’augmentation du nombre de migrants irréguliers parvenant à franchir les frontières de l’Espagne n’est pas un phénomène nouveau. Leur nombre n’a cessé d’augmenter ces 5 dernières années. Entre 2012 et 2015, il a plus que doublé, passant de près de 6600 en 2012 à un peu moins de 17 000 en 2015, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur espagnol*. Cette immigration irrégulière terrestre et maritime connaît la même tendance que l’évolution de l’immigration globale de l’Espagne, mais dans des proportions bien supérieures. Celle-ci a ainsi augmenté de 42,7% entre 2013 et 2016, selon l’Institut national Espagnol.

L'Espagne pourrait dépasser la Grèce

Surtout, l’augmentation actuelle du nombre d’entrées irrégulières en Espagne via le Maroc, est exceptionnelle parce qu’elle se produit dans un contexte global de très forte baisse de l’immigration irrégulière vers l’Europe. Celle-ci a reculé de 86% entre juillet 2017 et juillet 2016. Entre le premier et le second semestre 2016, le nombre d’entrées irrégulières en Grèce et à Chypre depuis la Turquie qui dépassait les 100 000 a été divisé par 17, selon les chiffres de Frontex. «L'Espagne pourrait dépasser la Grèce cette année. Ce serait un grand changement», a déclaré Joel Millman porte-parole de l'OIM, à l’agence de presse française AFP.

Comment expliquer ce renversement ? «Nous supposons que la route qui longe la côte pour remonter vers le Maroc est considérée comme plus sûre.» En Libye, les passeurs embarquent 100 à 150 migrants par embarcation : «ils semblent délibérément surcharger les bateaux, qui prennent l'eau tout de suite, et les passagers doivent s'efforcer d'obtenir de l'aide au plus vite», explique Joel Millman. Cette route reste toutefois très fréquentée puisque 93 à 97 000 migrants l’ont encore emprunté cette année. Pour traverser le détroit de Gibraltar, «la tactique est d'employer de plus petits bateaux dans l'espoir de déjouer la surveillance

Pierre Vermeren, dans un entretien accordé à Atlantico, tente une autre explication plus maroco-marocaine. «La situation, dans le nord du Maroc, est très tendue avec le Rif. La police a autre chose à faire que s'occuper des migrations. Les passeurs reprennent donc de l'activité car ils sont moins contrôlés. […] Généralement, quand il y a un tel gonflement des passages, c'est que l'Etat marocain cherche à faire passer un message à la France et à l'Espagne. On sait que la Libye fait actuellement un chantage à l'Europe pour des milliards d'euros d'aides. Le Maroc pourrait faire la même chose en demandant une assistance, car il participe aussi à nos politiques d’immigrations», explique-t-il. Il reprend là un argument typiquement espagnol qui consiste à accuser le Maroc d’avoir relâché sa surveillance.

Quelles que soient les causes de regain d’intérêt des migrants pour la route marocaine de l’Europe, il devrait se renforcer encore dans les mois à venir. Jeudi dernier, Tripoli a annoncé la création d'une zone de recherche et de secours (SAR) allant bien au-delà des 12 milles nautiques de ses eaux territoriales, et en a banni des ONG de secours aux migrants. La marine libyenne prétend ainsi arrêter l’émigration depuis ses côtes.

*Les chiffres du ministère de l’Intérieur espagnols sont toujours largement supérieurs aux estimations de l’OIM et de Frontex. Cela explique que les chiffres espagnols de 2015 soient supérieurs à ceux de Frontex un an plus tard. Mêmes si leurs chiffres sont différents, tous observent les mêmes tendances. L’Espagne n’a toujours pas publié son bilan global de l’immigration irrégulière pour 2016.

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