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Grand Angle

Réfugiés congolais : Une intégration au Maroc jalonnée d’épreuves

Ereintant, le parcours des réfugiés est très souvent parsemé d’embûches. C’est le cas de Raoul et Fatou, originaires de la République démocratique du Congo, confinés dans une précarité qu’ils espèrent temporaire. Témoignages.

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Fatou à droite et Raoul à gauche. / Ph. HCR
Temps de lecture: 4'

L’instabilité politique qui gangrène la République démocratique du Congo (RDC), notamment la région du Kivu, à l’extrême est du pays, en proie à de violents conflits depuis plus de vingt ans, a fait fuir des milliers de Congolais vers de meilleurs auspices. Le Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR) dénombre 500 000 réfugiés dans le voisin ougandais, parmi lesquels figurent également des Sud-soudanais.

Pour d’autres, le destin a été un peu plus clément. C’est le cas de Raoul, 45 ans, installé depuis 2005 au Maroc, là où l’ancien président Mobutu, fantasque dictateur qui a régné en maître entre 1965 et 1997, est mort d’un cancer de la prostate, le 7 septembre 1997 à Rabat. «Il avait de bonnes relations avec le roi Hassan II. C’est la raison qui pousse la plupart des Congolais à s’installer au royaume», explique Raoul, natif de Kinshasa, la capitale. Selon lui, si Mobutu y a été bien accueilli, «alors on le sera aussi».

Les premiers mois de son arrivée n’ont pas été faciles. Le jeune homme a été contraint de se cacher pour éviter les contrôles de police. «Je n’avais pas de papiers. Pour sortir acheter du pain par exemple, on devait choisir l’un d’entre nous. S’il dépassait 15 minutes, on savait qu’il avait été arrêté», se souvient ce père d’une petite fille de 8 ans.

Tenaillé par la crainte de se faire repérer, le Congolais s’engage pourtant dans le monde associatif dès la première année de son arrivée, au risque de se faire repérer. Au sein de l’Association des réfugiés et des communautés congolaises au Maroc (Arcom), en étroite collaboration avec le HCR, il milite pour la défense des droits des réfugiés. «En 2005, il y avait beaucoup d’arrestations et de refoulements arbitraires. La police débarquait à 3 heures du matin et arrêtait des gens pour les refouler à Oujda, parfois même en plein désert», confie Raoul.

Le Groupe antiraciste de défense et d'accompagnement des étrangers et migrants (GADEM), le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) et l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) parviennent toutefois à plaider en faveur des migrants et réfugiés refoulés, en association avec l'Arcom.

La musique devient sa planche de salut

Encore fallait-il parvenir à joindre les deux bouts. A son arrivée, Raoul partage sa chambre avec sept personnes. Mais le hasard des rencontres a donné à sa vie une autre tournure. Un jour, lors d’une sortie dans le quartier, il se dirige vers un groupe de jeunes qui jouent de la guitare. Le Congolais se lance à son tour et manie avec brio l’instrument. Epatés par son talent, les musiciens marocains décident de le faire jouer dans leur groupe le temps d’une soirée.

«J’ai gagné 250 dirhams. Pour moi, c’était énorme. Je pouvais payer la chambre où j’habitais avec sept autres personnes. Mon loyer était de 170 dirhams. A l’époque, 1 dirham c’était quelque chose pour moi ; de quoi acheter du pain par exemple.»

Il est ensuite entraîné dans un tourbillon de soirées lors desquelles il joue en compagnie de ses acolytes marocains. Très vite, il décide de créer son propre groupe composé d’Africains qu’il repère dans les quartiers voisins de chez lui. «Nous étions très sollicités. On a voyagé dans toutes les villes du Maroc, du nord au sud.» Lors d’un concert, le groupe attire l’attention de Saida Fikri, chanteuse marocaine à succès qui les entraîne dans bon nombre de concerts «un peu partout», raconte Raoul, tout fier.

Mais les aléas de la vie de musicien lassent peu à peu le Congolais, qui décide de trouver un travail plus stable pour nourrir sa petite famille. Il enseigne la danse africaine pendant quelque temps puis, plus tard, trouve un emploi au black dans une entreprise internationale qui le met à l’abri. Cependant, il se retrouve au chômage après trois ans. Il décroche ensuite un job en tant qu’intervenant dans une organisation pour un salaire de 1 200 dirhams par mois. «Je préfère ça plutôt que de ne rien avoir», dit Raoul, qui ne se départit guère de l’espoir qui l’anime au quotidien.

Maman avant tout

De l’espoir, Fatou (*) se demande bien où il y en a. A 32 ans, cette Congolaise est mère de sept enfants - l’aînée a 14 ans, le benjamin, 9 mois. C’est peu dire que son parcours de vie a été jalonné d’épreuves, et pas des moindres. Orpheline, elle se marie très jeune avec un homme qui lui apporte une figure paternelle. Ni une, ni deux, son mari plie bagage et l’abandonne. La jeune femme se retrouve contrainte du jour au lendemain à subsister aux besoins de sa famille. Elle a été encouragée à venir au Maroc par des amis qui lui ont conseillé de s’y installer pour le bien de ses enfants en 2010.

«Je pensais que j’aurais une meilleure vie ici. Que nenni ! J’ai été violée, agressée et battue devant mes enfants. C’est une épreuve que je ne pourrais jamais oublier.»

Elle tombe enceinte suite à ce viol. Complètement brisée, la Congolaise pense à mettre fin à ses jours si elle n’avorte pas. «Médecins sans frontières m’a beaucoup aidée à remonter la pente et à comprendre que je ne pouvais pas faire ça à mes enfants», murmure-t-elle.

Fatou accuse le coup. Elle se retrouve à la rue, contrainte de dormir dans des jardins publics avec ses enfants pendant un mois en plein hiver. Elle parvient à se réfugier chez une Marocaine qui propose de lui ouvrir sa porte. Une amitié indéfectible se noue entre les deux femmes, qui sont toujours en contact. «Si aujourd’hui je suis forte, c’est grâce aux Marocains», dit-elle dans un sourire qui efface les larmes qui ont assombri son visage lors de notre entretien.

L’assistance fournie par le HCR à Fatou et ses enfants est «insuffisante». Cette précarité l’a d’ailleurs poussée à se prostituer. «J’ai eu trois enfants ici avec des pères que je ne connais pas, étant donné que je me prostitue. J’ai perdu toute ma famille, alors j’ai essayé d’en créer une autre avec mes enfants», reconnaît-elle. Et d’ajouter : «J’aimerais être réinstallée. La seule chose que je demande au HCR, c’est de me faire quitter le Maroc.» Fatou croit dur comme fer que sa vie sera meilleure dans un autre pays que le royaume où elle aura la chance de se reconstruire et d’offrir à sa progéniture un avenir moins triste.

(*) Le prénom a été modifié

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