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Interview

Abdeladim Lhafi sur les feux de forêts : «La sensibilisation, on n’en fait jamais assez !»

L’incendie déclenché dans la nuit de samedi à dimanche dans la forêt de Mediouna près Tanger n’a été maitrisé qu’hier en dépit de la mobilisation. Abdeladim Lhafi, Haut-commissaire aux eaux et forêts et à la lutte contre la désertification, revient pour Yabiladi sur les conditions de l’intervention ainsi que le rôle de la sensibilisation pour empêcher de tels incidents. Interview.
 

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Abdeladim Lhafi, Haut-commissaire aux eaux et forêts et à la lutte contre la désertification, lors d'une rencontre en marge de la COP 22. / Ph. DR
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L’incendie de la forêt de Mediouna à Tanger n’a finalement été maîtrisé qu’après plusieurs jours d’intervention. Le feu a-t-il été circoncis dans de bonnes conditions ?

L’incendie de Tanger a été géré dans des conditions optimales. Quand on lutte contre un feu de forêt, il faut se rappeler que même si on essaie d’en limiter les dégradations, on a aussi d’autres priorités : d’abord, protéger les personnes. Au Portugal, 68 citoyens sont morts dans des incendies. Nous, on veille à éviter cela. Le deuxième élément, ce sont les lignes de haute tension, les agglomérations rurales et urbaines et les infrastructures. Enfin, le troisième élément, c’est de veiller à la sécurité de l’utilisation du matériel.

A Tanger, la vitesse du vent a été de 60 à 80 km par heure. Quand les Canadairs ont voulu s’approvisionner dans la mer pour éteindre le feu, la houle et la dimension des vagues étaient tellement importantes qu’il était impossible de le faire dans des conditions de sécurité optimale. On a donc utilisé le barrage qui offrait le plus de sécurité ; celui du Loukkos. Ce dernier étant à 40 minutes de vol, la rotation, au lieu de se faire toutes les 10 à 12 minutes, s’effectuait toutes les 40 minutes.

Chaque feu a ses spécificités, mais l’incendie a été géré dans des conditions optimales : pas de perte de vie humaine ou de matériel et le feu a été circonscrit sur 230 hectares alors que les évaluations sont toujours en cours.

230 hectares ravagés, ce n’est pas beaucoup pour un feu dit mineur ?

Quand on parle de 230 hectares ravagés, ce ne sont pas 230 hectares qui sont partis ou détruits. 45% n’étaient que des espaces secondaires. Quant aux arbres, il y a ceux qui sont uniquement léchés par le feu et d’autres qui sont définitivement calcinés. L’évaluation se fait dans les deux ou trois semaines qui viennent, partie par partie.

Il faut savoir que le massif qui était directement menacé s’étend sur 2 000 hectares. Cela veut dire que si on avait laissé le feu évolué, 2 000 hectares auraient été ravagés.

C’est un incendie qui reste mineur. Rappelez-vous, il y a trois ans, l’incendie d’Amskroud à côté d’Agadir, 1 200 hectares d’un seul tenant en l’espace de trois jours ont été ravagés. En 2005, à côté d’Ouazzane, c’était 4 700 hectares en 48 heures mais à cette époque, on n’avait pas encore notre dispositif d’intervention. Chaque incendie est un feu particulier que nous analysons pour fixer les démarches d’intervention ; ce n’est pas un automatisme.

Les hectares ravagés seraient en baisse chaque année. Qu’est ce qui a changé par rapport aux années précédentes ?

Par rapport aux incendies, on était dans une situation défensive. On attendait que le feu éclate pour aller l’éteindre. Depuis maintenant sept ou huit ans, on a totalement changé de démarche. Actuellement, tous les jours et deux fois par jour à partir du mois de mai jusqu’à septembre, on a une évaluation de tout le territoire national, kilomètre carré par kilomètre carré, pour définir le coefficient du risque. Cette évaluation des risques est automatiquement accompagnée par un procédurier, c’est-à-dire le positionnement des troupes au sol, des véhicules de premières interventions, les positionnements des avions, des turbo crash et des Canadairs. L’objectif est d’être au plus près de la possibilité d’intervenir lorsque le feu éclate.

Avec ce régime informatique extrêmement sophistiqué, je crois que les statistiques le montre : le Maroc est actuellement en tête de tous les pays méditerranéens du Nord et du Sud. Nous sommes à moins de 0,04% de la superficie parcourue par le feu. Cela veut dire que nous sommes pratiquement le pays qui a moins de superficies parcourues par le feu. A titre de comparaison, l’Espagne affiche 1,4%, contre 2,6% pour le Portugal et 1,1% pour l’Algérie. Nous sommes donc, de très loin, en première position en termes de performance.

Le nombre d’incendies augmente, certes, mais la superficie diminue parce qu’il y a des interventions efficaces.

On entend souvent dire que des enquêtes sont ouvertes pour déterminer les causes et les responsables des incendies mais n’aboutissent presque jamais. Pourquoi ?

Très franchement, les enquêtes sont toujours très difficiles. Ce que l’on sait, c’est que 98% des incendies sont d’origine humaine. Les conditions naturelles comme les foudres sont extrêmement rares. On dénombre peut-être un ou deux cas par an mais ce n’est pas du tout ce qui se passe par rapport à la Russie ou au Canada où les causes naturelles sont plus importantes.

Quant à l’élément humain, il y a deux choses. D’abord les comportements irresponsables puis une part délictuelle où les personnes déclenchent intentionnellement le feu. L’année dernière par exemple, l’enquête a pu déterminer que cinq personnes étaient responsables du démarrage d’un incendie. A Amskroud par exemple, l’enquête avait démontré que les parents s’étaient absentés en laissant leurs deux enfants en train de jouer. Les enfants ont saisi des allumettes pour allumer un petit feu, tout a dérapé et le feu a ravagé 1 200 hectares. Mais quand quelqu’un passe et jette un mégot aux bords de la route et qu’un feu se déclenche après deux ou trois heures, vous ne pouvez pas définir qui a jeté le mégot et à quel moment.

Qu’en est-il de la place de la sensibilisation ?

La sensibilisation, on n’en fait jamais assez. Comme je disais, il suffit qu’un conducteur de véhicule lance un mégot de cigarette pour que cela constitue le point de départ d’un feu important. Et cela ne relève pas du coefficient du risque mais des comportements des gens. Si vous prenez les campeurs, il y a ceux qui prennent avec eux des sandwichs et d’autres qui partent pour cuisiner, faire des tajines et laisser de la braise qui, emportée par le vent, peut déclencher des points de démarrage d’un feu. Je pense aussi à ceux qui brûlent les champs céréaliers pour les stériliser. Il faut qu’il y ait une sensibilisation et tout le monde doit jouer son rôle.

Il appartient à tout le monde de prendre le relai et faire ce travail, société civile, autorités locales et même la presse. Tout le monde doit jouer son rôle et plus on en fait, mieux c’est.

Situation des incendies de forêts jusqu’au 04 juillet

La situation des incendies de forêts depuis le 1er janvier 2017 fait état de 376 ha de superficie forestière parcourue par le feu, suite à 105 départs de feu enregistrés depuis le début de l’année, selon le HCEFLCD. La moyenne reste de 3,5 hectares par incendie en 2017, en comparaison à la moyenne décennale (2007-2016) qui est de 3,9 ha/incendies.

Les superficies ravagées par le feu sont constituées de 56 % d’essences secondaires et de formations herbacées (210 ha).  Une réduction significative de la superficie incendiée est ainsi enregistrée (25% en comparaison avec la moyenne des dix dernières années durant la même période).

La région qui a connu la plus grande superficie incendiée est la région du Rif (Tétouan, Chefchaouen, Tanger, Larache et Ouezzane) avec 30 départs de feu et une superficie parcourue de 254 ha. Elle est suivie par la région de l’Oriental (Taourirt, Jerada et Nador) avec 23 départs de feu et 64 ha touchés par le feu.

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