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Grand Angle

Maroc : Charmeur de serpents, un métier à risque

Au lendemain de la mort d'un des leurs, les autres charmeurs de serpents de la mythique place de Jamâa El Fna à Marrakech ne sont pas plus protégés. Un métier qui n'est pas sans risques et dont les autorités ne se soucient que très peu. Témoignage.

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Hicham le charmeur de serpents est l'un des plus connus de la place Jamâa el Fna à Marrakech. /Ph. Hicham L3issaoui.
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Hicham L3issaoui (Hicham le charmeur de serpents, ndlr), c'est tel qu'on surnomme l'un des plus renommés des charmeurs de serpents sur la plus célèbre place de la ville ocre. Merrakchi d'origine, il exerce cette profession par tradition puisque dans la famille d'Hicham, on est charmeur de serpents de père en fils et ce depuis plusieurs générations. Un métier qui le prend aux tripes et ce malgré parfois des accidents auxquels font face ces professionnels, à l'instar d'un des leurs qui a perdu la vie la semaine dernière après avoir été mordu par son reptile.

Hicham, 37 ans, vit de ce métier depuis plus de 25 ans. C'est au début des années 1990 qu'il a foulé les pavés de la place Jamaâ El Fna, et ce, sous l'égide de son papa qui lui a transmis toutes les ficelles de cette profession qui se répand chez les hommes de cette famille. Hicham raconte :

«Nous, les 3issaouas, le sommes de générations en générations, mon grand-père et mon arrière-grand-père l'avait hérité de leurs aïeux. Mon père est chasseur de serpents. Il les chasse pour travailler sur la place et pour ses spectacles dans les hôtels par exemple, mais aussi car mon père fournissait en serpents l'Institut Pasteur de Casablanca, qui les utilisait à des fins médicales.»

Une passion à risque

Le métier de charmeur de serpents fait partie des plus dangereux. Et pour cause, manipuler à longueur de journée ces reptiles peut s'avérer très risqué : «ce qu'il faut savoir c'est que jamais le venin ne sera entièrement retiré, il en reste toujours. D'où l'importance d'être professionnel et de savoir manier et dompter l'animal. Notre métier nous apprend à être doux et prendre soin de ces bêtes», explique le Merrakchi. Et d'ajouter : «certes notre métier est plein de risques mais Dieu merci nous aimons ce que nous faisons !»

Concernant leur élevage, Hicham nous assure que chaque 3issaoui n'en possède que quelques uns : «personnellement, j'ai 4 cobras et 3 vipères après je n'ai que des couleuvres. Ce sont ces dernières qui nous permettent de travailler puisque ce sont elles que l'ont met autour du cou des touristes pour les photos tout simplement car elles ne sont pas venimeuses. Contrairement au cobra qui lui a des crochets devant». Ainsi, lorsque ces professionnels sollicitent leurs serpents, ils le font pour une journée et les reposent durant une dizaine de jours, Hicham y met un point d'honneur et nous confie : «nous nous devons de prendre soin de ce qui nous aide à nous nourrir à la fin du mois, ces serpents font partie de la famille à force».

Quant aux accidents, «il en existe effectivement mais c'est rare et c'est sans gravité le plus souvent, pour nos clients on ne met à disposition que les couleuvres qui sont innofensives», explique le trentenaire. Pour lui, «il est impensable de travailler avec des cobras avec les touristes, c'est beaucoup trop dangereux.» Tandis que pour les charmeurs, les risques sont multipliés : «bien évidemment c'est un métier à risque à la base et bien sûr il nous arrive parfois des pépins, de graves morsures, mais dans la plupart des cas ce sont des morsures qui nous sont bénéfiques à nous puisqu'elles renforcent notre défense immunitaire. A force de cumuler ce genre d'accidents, le venin n'en est plus.» Et le charmeur de préciser : «les morsures qui touchent les nerfs sont les plus graves. A ce moment là c'est direction les urgences rapidement. Nous, à Jamâa El Fna nous avons un ami médecin au bureau d'empoisonnement de Rabat que nous contactons à chaque cas de ce type, il guide et donne les instructions au personnel médical ici.»

Hicham L3issaoui à l'oeuvre. /Ph. Hicham L3issaoui.Hicham L3issaoui à l'oeuvre. /Ph. Hicham L3issaoui.

Des difficultés au quotidien

Ce métier constitue certes une tradition et une passion pour ces amoureux qui l'exercent mais tout n'est pas rose au cœur de la place mythique de la ville ocre. «Les difficultés auxquelles nous faisons surtout face ici sont plutôt d'ordre sanitaire, nous n'avons pas de couverture maladie par exemple», assure Hicham. Ainsi, expose le Merrakchi : «nous n'avons pas de retraite également et ça fait partie des plus grandes problématiques des charmeurs de serpents et autres métiers que compte Jamaâ El Fna».

Un art qui fait appel à une grande maitrise du domptage des serpents mais aussi qui mêle les traditions et l'héritage générationnel. Or, aujourd'hui la profession serait compromise d'après Hicham, puisque : «plusieurs d'entre nous ne souhaitent plus entrainer et transmettre l'amour du métier aux générations futures pour que la tradition perdure et renforcer la perennité de cet héritage familial, ce que nous ne voulons pas», se désole-t-il. Très peu de charmeur de serpents convient leur progéniture à cet exercice et ceci pourrait à l'avenir faire disparaitre les reptiles qui font la joie des touristes venant à Marrakech.

Enfin, le côté financier aurait également ses limites. La profession ne parvient qu'à faire nourrir et subvenir aux besoins premiers de la famille d'Hicham. «Il ne faut pas oublier que nous en faisons vivre nos familles mais aussi les serpents, leurs habitudes de vie ont un coût que nous devons prendre en considération», détaille le 3issaoui. «Bien sûr, lorsque nous allons à la chasse, nous ne capturons pas les femelles enceintes ou en phase de pondre, c'est pareil pour les petits. Ainsi, en période de grand froid également nous ne chassons pas car les serpents y sont rares», un obstacle supplémentaire pour contribuer à sauver l'espèce. Une espèce qui peut vivre jusqu'à 30 ans, mais il n'y a pas de secrets pour cela, «le serpent doit vivre dans un espace idéal et propice à son développement».

«Ça fait plus de 25 ans que je suis dans le milieu, mon salaire n'est pas faramineux mais je remercie Dieu car c'est suffisant pour moi et ma famille», conclut Hicham L3issaoui.

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