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Grand Angle

Al Hoceima, révélateur d'un court-circuit général [Edito]

Les évènements à Al Hoceima ont entrainé des débats houleux au sein de la société marocaine, avec parfois des appels à la haine et à la violence. Cette crispation est symptomatique d'un mal plus profond que nous tentons d'analyser.

Publié
Photo d'illustration/ DR
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Les noms d'oiseaux et les appels à la haine fusent, les drapeaux sont brandis, les contre-manifestations s'organisent, les procès en traitrise tombent sur les réseaux sociaux et dans la rue. Une forme de panique s'est emparée des Marocains qui semblent découvrir que notre pays aussi peut connaitre des mouvements sociaux et de contestation. Au lieu de prendre ce phénomène avec appréhension mais aussi lucidité, certains font immédiatement appel aux réflexes émotionnels les plus profonds pour créer de la réaction forte, voire violente. Or ce mode de contre-attaque dès qu'un mouvement social se durcit est une preuve de fébrilité plus que de solidité. Tous les pays connaissent des flambées de violence sans pour autant tomber dans une révolution du type Printemps arabe.

Cette perte de repères d'une partie de nos concitoyens entraine in fine des réactions plus graves pour la stabilité du pays que les manifestations à Al Hoceima. A trop jouer avec le diable en montant une partie des Marocains contre les autres, à créer du ressentiment ethnique, à crier au complot dès qu'un groupe de citoyens réclame des droits, un jour, les blessures seront tellement profondes qu'il n'y aura plus personne pour cautériser la plaie.

La main de l'étranger dans le couscous

Il y a urgence à retrouver le chemin de la raison. On ne peut balayer un mouvement social né d'un drame (la mort de Mohcine Fikri) qui dure depuis plus de 7 mois, en pointant opportunément la main de l'étranger. Quand le malaise est profond, nous devons au contraire écouter les doléances et y apporter les réponses que nous tous, avec un peu de discernement, trouverons légitimes : accélération des chantiers d'infrastructures qui ont pris du retard, ciblage de la corruption qui a pris des proportions alarmantes particulièrement dans cette région, mise à niveau et réouverture du centre d'oncologie, intégration de jeunes de la région dans l'administration locale, etc.

Mais au delà de ses revendications et des solutions que devront apporter les autorités, il convient de s'interroger sur le délitement de toutes les organisations de médiation et d'organisation sociale. Depuis Gdim Izik, il est évident que la médiation traditionnelle des familles de notables et des zaouïas telle que pratiquée abondamment sous le règne d'Hassan II, n'a plus aucun écho auprès d'une jeunesse bouillonnante. Et plus grave encore, les organisations typiques d'un Etat nation (partis politiques, syndicats, associations, médias) n'ont pu réellement prendre le relais.

La logique sécuritaire et un mouvement de concentration du pouvoir (alors qu'on parle de régionalisation avancée) a asséché les maigres ressorts des acteurs de médiation qui manquent cruellement dans le contexte de hirak Rif. Ni les ministres, ni les partis politiques, ni leurs sections locales ne sont audibles chez la population. Même ceux qui ont voté aux législatives ne se font plus d'illusions quant à leurs discours. Les associations qui auraient pu encadrer le mouvement de contestation sont dans une situation de fragilité inquiétante suite aux harcèlements sécuritaires de ses dernières années. Ne parlons pas du paysage médiatique qui ressemble à un champ de ruines où les mieux lotis financièrement font de la manipulation grossière, quant les autres médias indépendants tentent d'informer avec des moyens ridicules.

Tisser le drapeau avant de le hisser

Ce triste constat est le résultat d'un travail de sape de plus de 10 ans où partis, syndicats, associations et médias ont été volontairement déligitimés. Lucide, la population souhaite désormais parler uniquement au pouvoir central et non aux intermédiaires arrivant à Al Hoceima avec le sac rempli de poudre de perlimpinpin. Il n'y a plus de fusibles sur le tableau électrique. A force de court-circuiter les organisations de médiations vitales pour une société, on fait face à une surtension localisée, mais qui pourrait très bien se généraliser.

Pour rester dans la métaphore, c'est un peu comme quand le bricoleur du dimanche se croit malin en remplaçant les fusibles du tableau électrique par un bout d'aluminium. Une solution à court terme qui se révèle dangereuse quand, un à un, chaque plomb est remplacé. Si les fusibles coûtent chers et sont parfois difficile à trouver, ils sont pourtant loin d'être superflus.

Le Maroc rentre dans une ère où il connaîtra probablement de plus en plus de foyers de tensions socio-économiques dans les différentes régions. Ce phénomène est inéluctable au vu de la faiblesse des organisations d'intermédiation censées canaliser et remonter les doléances de manières plus formelle. Et les Marocains qui n'ont pas l'habitude de voir des manifestations de milliers de leurs compatriotes remettant en cause les autorités locales ou le pouvoir central, devront s'y habituer. Car on ne brandit pas le drapeau marocain face à d'autres Marocains. Il ne faut jamais perdre de vue que le drapeau d'une nation se doit d'être tissé avec abnégation en n'oubliant aucun fil issu, comme certains aiment à le rappeler, d'une seule et même pelote.

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