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Interview  

Du Djihad à la Géhenne, Ismaël Saidi interroge le mal du radicalisme religieux

«Géhenne» mise en scène après «Djihad», Ismaël Saidi monte sur les planches pour une suite, avec toujours dans l’âme la volonté de combattre l’extrémisme par la culture. «Douter, c’est vivre ; être bercé par la certitude, c’est mourir», selon Oscar Wilde. Le radicalisme religieux déconstruit par la meilleure des armes, l’art, nous confie le Belgo-marocain. Interview.

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Ismaël Saidi revient sur les planches avec "Géhenne". / DR
Temps de lecture: 4'

De quoi est-il question dans «Géhenne» ?

Dans Djihad, dont on connaît l’histoire maintenant, c’est trois Belges qui partent en Syrie pour tuer des mécréants et sur la route on connaît un peu leurs parcours ; Géhenne c’est la suite directe en fait de Djihad. Là c’est un peu plus noir, c’est un mec qui est revenu de Syrie, qui a commis un attentat, qui a tué des enfants dans une école juive et qui a perdu l’usage des ses jambes. Sur une chaise roulante, il est condamné à la prison à vie. Mais une fois dans sa cellule, il refuse de rencontrer l’aumônier musulman parce que ce dernier est jugé trop modéré. Du coup, pour le punir on l’envoie chez le prêtre, une fois par semaine, il va se soigner à l’hôpital. Et là il tombe sur une femme, folle et de confession juive.

En fait, toute la pièce est à huit clos entre les trois pour retracer la naissance de la haine en cet homme et comment la haine peut éventuellement laisser la place à autre chose. C’est une comédie qui comme Djihad a des moments drôles et des moments tristes.

Cette suite était donc prévue ?

Non, ça n’a jamais été prévu, parce que Djihad était censée tenir cinq fois et disparaître, mais s'est prolongé deux ans et demi. Et de tous les débats qu’on a fait avec les scolaires et même les adultes après Djihad, le même refrain revenait : les gens me demandaient «Mais qu’est ce qui se passera après ?»

La pièce se termine avec un attentat, on ne sait pas s'il a eu lieu ou pas. Et à un certain moment j’avais envie d’aller plus loin, j’ai dû aller plus loin et expliquer ce qui s’est passé, c’est quoi ce«bordel» ! J’ai écrit Djihad avant l’attentat et depuis il y a eu deux ans non stop d’attentats en Europe (Paris, Bruxelles, etc) et un peu partout dans le monde. Du coup j’avais envie d’aller plus loin, de montrer ce que chaque voix donnait à quelqu’un à qui on a appris la haine toute sa vie.

Et après «Géhenne» ?

Normalement, c’est une trilogie. Après «Géhenne» il y aura un vrai spectacle qui clôturera le cycle, c’est en écriture pour l’instant. Ça clôturera le cycle de mon spectacle sur la radicalité. D’abord «Djihad», ils partent en Syrie, «Géhenne» ils reviennent tuer et le dernier, je suis en train de le faire. Maintenant la situation politique en Europe est assez tendue, il y a aussi une montée de radicalisme pas seulement religieux mais aussi d’extrême droite.

Parce qu’ils fonctionnent en miroir, chaque radicalisme donne à manger à celui d’en face. Effectivement, il y a eu tant d’attentats, ce qui a fait monter la radicalisation à l’extrême droite, même à l’extrême gauche finalement, religieux, etc. Mais je reste optimiste, ce sont des cycles. On est au creux et quand on est au fond du puits, on peut remonter et là on est en train de remonter je pense.

Après l’interdiction de «Djihad» à Québec, comment réagit votre public ailleurs ?

Le maire avait demandé à ce qu’on vienne jouer, c’est donc lui qui nous a invité. Puis après il y a eu un attentat dans une mosquée, il a dit «Vous ne pouvez plus venir, y a eu un attentat, ça risque de blesser les victimes», donc on n’a pas été. Finalement, le public québécois a tellement insisté parce qu’il voulait voir cette pièce -on l’avait déjà jouée à Montréal et ça avait été un carton- que finalement on va à Québec en octobre prochain pour jouer «Djihad» et «Géhenne». Le public réagit de manière exceptionnelle, les gens adorent d’autres pleurent, ça marche partout.

Vous dites prôner un islam européen, un islam différent d’autres régions ?

En tout cas pas très différent du Maroc, mais très différent de l’islam d’Arabie Saoudite. Moi, je ne suis pas islamologue, je ne représente pas les musulmans, je ne représente personne, je représente que moi en tant que personne. Je suis né ici et j’ai grandi ici, pour moi, il est clair, je pense qu’il y a autant d’islams qu’il y a de musulmans sur Terre. Je prône à la rigueur, ici chez moi, l’islam qui corresponde à ce que je suis et pas à ce qu’ils sont là-bas ou à ce qu’on était au septième siècle.

C’est un islam comment ?

C’est un islam pâte à modeler, qui correspond à ce qu’on est, à ce que je suis. L’islam est différent d’un pays à l’autre : prenez la Turquie et le Maroc. Au Maroc, si vous ne jeûnez pas pendant le ramadan et que vous mangez en pleine rue, c’est punissable par la loi. En Turquie, c’est aussi un pays musulman, ils s’en foutent, vous pouvez même boire de l’alcool en plein ramadan. Ce sont pourtant deux pays musulmans, ils pratiquent l’islam différemment. L’Arabie Saoudite interdit aux femmes de rouler, au Maroc, les femmes ont droit de rouler, c’est déjà la preuve qu’il y a des principes complétement différents d’un pays à l’autre. Si l’Arabie Saoudite pratique un islam complètement différent du Maroc. Il n'y a pas de raison que la Belgique ou la France ne pratiquent pas un islam différent celui d’Arabie Saoudite par exemple.

Votre humour est assez atypique...

Je ne me considère pas comme humoriste, je me dis que je suis juste un mec qui raconte des histoires. Je ne sais pas si c’est atypique, je pense qu’il n’y en a pas beaucoup mais je ne me pose pas la question, sincèrement. J’ai eu envie de l’écrire, je l’ai écrit, je suis passé de l’un à l’autre. Avant ça j’avais écrit Rhimou pour 2M au Maroc... J’écris en fonction du sujet qui me parle et ça, ça me parle parce que ça a envahi nos vies. Je me considère comme un mec qui raconte son temps.

L’art aide à combattre le radicalisme

Pas que le radicalisme, toutes les folies. L’année passée, on parlait du Maroc, on va travailler avec l’association Sidi Moumen à Casablanca. C’est une association magnifique où l’on se sert de l’art pour aider les jeunes : les dessins de rue, le hip-hop, etc. Là nous allons adapter «Djihad» en darija et on va permettre aux jeunes de la jouer. Depuis toujours, pour moi Belge musulman pratiquant, le coran c’est de l’art : Dieu l’a révélé en prose, en poésie finalement. Cela montre à quel point l’art, même au fin fond du religieux, a une importance phénoménale. L’art est quelque chose de fantastique qui sert à vous ouvrir les esprits et ça lutte contre tout, ça vous oblige à vous ouvrir l’esprit et à écouter l’autre. (…) L’art est la dernière arme qui nous reste : l’art, l’éducation, l’enseignement, c’est un tout pour moi. Contrairement à une kalachnikov, cela dure toute une vie.

Géhenne au Palais des glaces

Au Palais des glaces, à 19 h 30, jusqu’au 3 juin

37 rue du Faubourg-du-Temple, Paris 10e.

Réservation : +33.142022717

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