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Grand Angle  

Constitutionnelle ou politique ? La démission de Benkirane en questions

Le PJD est encore au cœur de l’actualité politique au lendemain de la nomination, par le roi Mohammed VI, du nouveau cabinet d’El Othmani. Mercredi, Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD démissionnait de son poste de député à la Chambre basse. La dimension constitutionnelle de la décision est alors évoquée. Mais s’agit-il réellement d’un retrait pour rectifier une situation d’incompatibilité ?

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Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD, lors d'une séance au Parlement. / Ph. Le Desk - Archives
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C’est hier que le portail web du Parti de la justice et du développement (PJD) annonçait la démission d’Abdelilah Benkirane, ancien chef du gouvernement et secrétaire général du parti de la Lampe de son poste de député à la Chambre basse. Une démission qui vient «rectifier» la situation d’incompatibilité entre son poste de chef de gouvernement d’expédition des affaires courantes et les fonctions de député. Sa liste avait pourtant glané trois sièges à la circonscription de Salé-Mrissa.

Mais avec cette annonce et l’argument cité par le média officiel du parti de l’actuel chef du gouvernement, Saâdeddine El Othmani, a suscité différentes réactions sur les réseaux sociaux et dans les rangs des politologues : entre ceux qui justifient la décision, sans omettre d’évoquer son retard, et ceux qui la considèrent comme purement politique. Certains PJDistes, à l’instar de Hassan Hamoro, ont même tenté d’interpréter cette démission en la liant à un éventuel mécontentement de la composition du gouvernement El Othmani.

Les explications pas très convainquantes de Mohamed Yatim

Des réactions qui n'ont pas manqué de faire réagir Mohamed Yatim, membre du bureau politique du PJD et nouveau ministre de l’Emploi et de l’insertion professionnelle. Sur sa page Facebook, l’ancien secrétaire général de l'Union nationale du travail au Maroc (UNTM) a tenté de justifier le renoncement d’Abdelilah Benkirane à la députation. «La démission de Benkirane de la Chambre des représentants était une décision prise avant la formation du gouvernement. Depuis qu’il a été désigné candidat, il y avait cette intention de démissionner si le Parti n’arrive pas premier et donc s’il n’est pas désigné chef du gouvernement», écrivait-il mercredi soir. Et Mohamed Yatim de souligner qu’«il n’y pas de relation entre la démission et la formation du gouvernement». «N’en rajoutez pas plus», conclut-il.

Un post qui a ouvert les portes de l’Enfer sur le ministre nouvellement nominé par le Roi Mohammed VI avec plusieurs internautes qui l’accusent notamment de vouloir noyer le poisson avec de tels arguments.

Une décision pour «éviter l’embarras lors du vote de confiance» ?

Sa réaction et celle du PJD ont également servis de choux gras pour les politologues. Sur sa page officielle, le professeur du Droit constitutionnel et des sciences politiques à l’Université Mohammed V de Rabat, Omar Cherkaoui a estimé qu’il est «dommage qu'un homme d'État tente de justifier un droit accordé aux parlementaires en fonction de certaines idées dominées par le mépris de la Constitution et des institutions constitutionnelles». «C’est une atteinte au caractère sacré des voix des Marocains», fustige-t-il le statut de Mohamed Yatim avant de décortiquer la décision de la démission.

«La décision n’a rien à voir avec le cas d’incompatibilité annoncé par le règlement interne des élections des membres du la Chambre des représentants, comme avancé par le portail officiel du PJD puisqu’Abdelilah Benkirane ne cumule pas deux fonctions. Il n’est qu’un simple parlementaire puisqu’il a perdu sa fonction de chef du gouvernement depuis la nomination d’El Othmani.»

Pour l’enseignant-chercheur, bien que la décision de démission appartient au député conformément à ses droits constitutionnels, la décision est «politique pour éviter l’embarras lors du vote de confiance du nouveau gouvernement prévu la semaine prochaine». «Sa démission est aussi une forme plus polie pour délégitimer le gouvernement de son camarade et cela peut être considéré comme un feu vert pour les autres députés» du parti de la Lampe, poursuit-il.

En tout cas, «l’argument présenté par le PJD n’a pas de sens»

De son côté, Ahmed El Bouz, également professeur de Droit constitutionnel à l’université de la capitale évoque plutôt le contexte de la démission. «C’est plutôt le contexte qui pose un problème puisqu’Abdelilah Benkirane n’était pas satisfait de la manière dont avaient été gérées les tractations et les consultations pour la formation du nouveau gouvernement», nous confie-t-il ce jeudi.

«Si Benkirane avait démissionné avant de nommer El Othmani chef du gouvernement, cela serait une décision à dimension constitutionnelle. Maintenant, elle a aussi une dimension politique et l’argument présenté par le PJD n’a pas de sens. La décision se base sur un argument politique mais elle a plusieurs raisons et objectifs politiques.»

Pour notre interlocuteur, plusieurs scénarios sont à considérer. «Elle intervient peut-être comme signe de mécontentement ou insatisfaction. Il est possible qu’elle a été prise pour éviter la gêne de devenir simple membre au Parlement alors que Benkirane y marchait fièrement ou que cela soit en rapport avec le moral de l’ancien chef du gouvernement», conclut-il, sans désigner l’explication la plus probable.

Une chose est sûre, seul le congrès national du parti de la Lampe pourra déterminer si Abdelilah Benkirane veut toujours jouer un rôle au sein du PJD. Briguera-t-il un nouveau mandat à la tête du parti arrivé premier lors des élections du 7 octobre dernier ou suivra-t-il l’exemple d’Abderrahman Youssoufi qui avait choisi de se retirer de toutes ses responsabilités politiques après le gouvernement de l'alternance ?

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