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Histoire : Les fourberies marocaines de Domingo Badia, le Laurence d'Arabie espagnol

Il est certes né un 1er avril 1767 à Barcelone, mais Domingo Badia est l’une des personnalités étrangères ayant marqué l’histoire du Maroc. Histoire des fourberies d’un espion espagnol ayant réussi à s’infiltrer jusqu’à la cour du sultan Moulay Soleiman grâce à sa couverture de «Prince Ali-Bey El Abbassi».

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Illustration de Domingo Badia, alias Ali-Bey El Abbassi. / DR
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Son nom et son pseudonyme avaient été bannis pendant plusieurs années des livres d’histoire. Pourtant, son livre sur le voyage qui l’avait mené au Maroc, en Egypte, en Arabie Saoudite et en Syrie est une œuvre d’art avec un contenu riche et documenté.

Domingo Badia, alias Ali-Bey El Abbasi est un officier espagnol, né le 1er avril 1767 à Barcelone et décédé en 1818 près de Damas. En 1802, il s’était déguisé en prince abbasside, affirmant être né en Syrie et descendant du prophète Mahammed pour s’infiltrer au Maroc et envoyer des informations sur le royaume chérifien au premier ministre du roi Charles IV d’Espagne.

Un officier pour conquérir le royaume chérifien

Domingo Badia a vu le jour un 1er avril 1767 à Barcelone, dans une famille composée notamment de Pedro, le père qui est un comptable de guerre et lieutenant-trésorier et sa mère Catalina. Dès l’âge de 16 ans, il rejoint l’armée pour ensuite succéder, trois ans plus tard et grâce à un décret royal datant du 28 décembre 1786, à son père. Ce dernier est nommé pour un autre poste à Madrid.

Sept ans plus tard, soit en 1793, le jeune Domingo qui n’a que 26 ans mais grimpait vite les échelons, est nommé pour un autre poste : celui d’administrateur de la Rente Royales de Tabacs à Cordoue. Mais il était surtout un vrai génie maitrisant plusieurs domaines, des mathématiques aux langues étrangères en passant par l’histoire et l’astronomie.

A l’âge de 34 ans, il rencontrera Manuel Godoy, le Premier ministre (1767-1851) du roi Charles IV d’Espagne (1748-1818) pour lui présenter le projet d’une expédition scientifique en Afrique, et plus spécifiquement au royaume chérifien. Mais le Premier ministre a d’autres idées en tête. L’expédition est donc transformée en mission d’espionnage et Domingo Badia devait faire appel à son alter-égo, Ali-Bey El Abbasi. Maitrisant l’arabe, il ne lui restait que quelques astuces pour se faire passer pour un musulman avant d’entreprendre son voyage. Il se fait circoncire à Londres puis se dirige à Paris pour acquérir quelques cartes avant de préparer ses fourberies. Il est de retour en Espagne en avril 1803, embarque à Tarifa pour traverser le Détroit de Gibraltar.

Domingo Badia en tenue militaire. / Ph. DRDomingo Badia en tenue militaire. / Ph. DR

Ali-Bey, l'ami du sultan Moulay Soleiman

Le 29 juin 1803, il arrive au port de Tanger. «J’entrai dans le port de Tanja ou Tanger, à dix heures du matin, le 29 juin de la même année, mercredi 9 du moi rabii-Al Aoual de l’an 1218 d’El Hogera ou de l’hégire», écrivait-il dans ses mémoires publiées après quelques années. Sur ses premières impressions, il commentait :

«La sensation qu’éprouve l’homme qui fait pour la première fois ce court trajet ne peut être comparée qu’à l’effet d’un songe. Passant, dans un aussi petit intervalle de temps, dans un monde absolument nouveau, et qui n’a pas la plus petite ressemblance avec celui d’où il sort, il se trouve réellement comme s’il avait été transporté dans une autre planète.»

Il présente donc un passeport de Cadix, lance ses tous premiers mensonges et bénéficie dès les premiers jours d’une maison mise à sa disposition par le Caïd. Il est accompagné par un Turc qui lui sert de bras droit et de guide. «Il ne me quittait pas un moment jour et nuit, me gênait infiniment et ne me permettait pas de me livrer à aucun travail», contait-il dans son ouvrage. Il se débarrassera aussitôt de son guide.

Les jours qui suivront son arrivée, Ali-Bey se rend dans plusieurs coins à Tanger et fait déjà parlé de lui : Il annonçait l’éclipse solaire, il livrait plusieurs cadeaux aux caïds et différentes personnalités de la ville et ne manquait pas d’exhiber le matériel d’astronomie qu’il s’était procuré en Europe. Mais il devait aussi saisir la visite du sultan Moulay Soleiman pour rencontrer l’«empereur du Maroc». Chose faite quelques jours plus tard. Ali-Bey est donc présenté au sultan chérifien auquel il présente toute une série de cadeaux.

Domingo Badia en 1804. / Ph. DRDomingo Badia en 1804. / Ph. DR

«Mon présent [était] composé de: Vingt fusils anglais avec leurs baïonnettes, deux mousquets de gros calibre, quinze paires de pistolets anglais, quelques milliers de pierres à fusil, deux sacs de plomb pour la chasse, un équipage complet de chasseur, un baril de la meilleure poudre anglaise, différentes pièces de riches mousselines unies et brodées, quelques menus objets de bijouterie, un beau parasol, des sucreries et des essences.»

Des cadeaux qui avaient beaucoup été appréciés par le sultan chérifien. Petit à petit, grâce notamment à ses connaissances et à sa réputation, il se transforme en homme de confiance de Moulay Souleiman, qui lui accorde des palais, notamment à Marrakech ainsi que plusieurs faveurs dont des domestiques et des lettres pour lui permettre de circuler librement au Maroc. Toutefois, parallèlement à son personnage d’Ali-Bey, Domingo Badia n’oubliait pas ses missions principales : adresser des messages aux autorités espagnoles pour les informer sur les infrastructures et les données militaires sensibles du royaume chérifien. Il devait également convaincre de demander la protection de l’Espagne dans un environnement où le royaume reste méfiant des puissances coloniales. D’ailleurs, c’est sa proximité avec le sultan qui le poussera à conseiller son hôte mais en vain. Domingo Badia devait alors passer au plan B : inciter la population à se révolter contre le souverain chérifien. Une mission qui échouera aussi.

Espion un jour, traitre pour toujours

Le 25 mars 1804, alors que le Moulay Soleiman est à Marrakech et s’apprêtait à se rendre à Mogador (Essaouira), Ali-Bey concocte un plan pour inciter la population à se soulever contre le souverain et adresse une lettre au Premier ministre espagnol pour préparer une intervention militaire. Mais ce déplacement ravivera les doutes contre sa personne et ses vraies intentions. S’apercevant que son identité pourrait bientôt être révélée au sultan et au grand public, il adressera un deuxième courrier à Manuel Godoy, l’informant des menaces et l’exhortant de reporter l’intervention. En février 1805, alors qu’il était sur le point d’être démasqué, il s’adresse au sultan pour demander à se rendre à La Mecque. Le sultan lui demande alors de reporter ce déplacement et lui confie de mener une brigade pour envahir Melilla. Parallèlement et suite à ces actualités, Manuel Godoy lui ordonna de créer une diversion à Béni-Snassen.

La statue de Domingo Badia, alias Ali-Bey à Tanger. / Ph. DRLa statue de Domingo Badia, alias Ali-Bey à Tanger. / Ph. DR

C’est à ce niveau que les versions divergent, entre celle qui affirme que Domingo Badia avait finalement été démasquée par Moulay Soleiman et celle qui affirme le contraire. Il quittera le Maroc entre octobre et décembre 1805 à destination de Tripoli. Ce nouveau périple l’emmènera aussi en Grèce, à Alexandrie, au Caire et même à La Mecque. Les gens continueront de le traiter comme un vrai prince arabe et musulman au moment où il continuait son travail d’espion espagnol.

Après son retour en Europe, il se rend d’abord en Espagne avant de plier bagage vers la France. Domingo proposera alors ses services à Napoléon Bonaparte. En 1813, il est fiché en Espagne comme traite et doit s’exiler. En 1818, Domingo Badia décide de se rendre une deuxième fois au Moyent-Orient. Il décède entre la Syrie et la Jordanie suite à une dysenterie.

Une statue à Tanger :

Jusqu’à récemment, au quartier Béni Makada de Tanger, les habitants étaient familiers avec une statue d’Ali-Bey, probablement sculptée à l’époque où il vivait au Maroc qui avait ensuite mystérieusement disparu. En mai 2016, l’opposition au conseil communal avait exhorté le maire de la ville de révéler le sort de cette statue, jugée comme faisant partie du patrimoine de la ville du Détroit.

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