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Grand Angle

France : La gare du Nord, théâtre d’un contrôle au faciès de lycéens d’origine africaine

Le 1er mars, trois lycéens ont été victimes d’un contrôle au faciès devant 15 de leurs camarades en marge d’une sortie scolaire. L’enseignante est montée au créneau pour dénoncer «la violence d’une société toute entière».

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La gare du Nord, théâtre d’un contrôle au faciès de lycéens d’origine africaine. / DR
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En décembre dernier, une enseignante d’un lycée professionnel de Stains (Seine-Saint-Denis), en visite au Musée d’Orsay avec sa classe, nous rappelait combien les portes du savoir peuvent être hermétiques à la jeunesse métissée des zones d’éducation prioritaires (ZEP), «extra-muros».

Quatre mois plus tard, la gare du Nord de Paris s’est substituée à cet imposant haut lieu parisien de la culture. Si le décor a radicalement changé, c’est pourtant la même scène, à quelques détails près, qui s’y est jouée. Dans un post sur son compte Facebook, Elise Boscherel, professeure dans un lycée professionnel à Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), a fustigé le «contrôle d’identité» dont ont été victimes trois de ses élèves, le 1er mars lors du retour d’un séjour scolaire à Bruxelles, «à deux points différents de la gare du Nord». La scène s’est déroulée sous les yeux de 15 élèves - 13 filles et deux garçons.

Le premier, un dénommé Ilyas, 17 ans, est d’origine marocaine. Ses deux camarades, Mamadou et Zakaria, 18 ans, sont respectivement d’origine malienne et comorienne. «L’un d’eux s’est fait attraper par le bras, fouiller, tutoyer, un autre a dû ouvrir sa valise devant le reste de la classe. Un troisième s’est fait contrôler en sortant tout juste du train, sur le quai», écrit l’enseignante, précisant que «ces contrôles sont sans nul doute liés à leur apparence physique». Originaires d’Épinay-sur-Seine, ces trois élèves «représentent donc à eux seuls ce que l’on nomme communément ‘les jeunes de cité’».

Présumé coupable

Elise Boscherel s’indigne de la réalité à laquelle sont confrontés ces trois garçons, sans commune mesure avec la sienne ; celle d’une «professeure blanche, jamais contrôlée, jamais jugée, jamais discriminée en raison de la couleur de [sa] peau». D’après elle, ces sorties scolaires trahissent la présomption de culpabilité qui pèsent d’emblée sur ces jeunes «aux yeux des policiers, de certains personnels de la RATP (le réseau des transports parisiens, ndlr), de la SNCF».

Contactée par Yabiladi, elle dit les mêmes scènes qui se répètent inlassablement : «Ce n’est pas la première fois que je suis témoin d’un contrôle au faciès ou d’une attitude malveillante avec mes élèves, que ce soit dans le métro, le musée, le train... Ça arrive fréquemment. Mamadou m’a même confié qu’à certaines périodes, il pouvait faire l’objet de deux contrôles par jour. En fait, on est toujours obligés de défendre nos élèves.» Des jeunes - pour la majorité des garçons - rodés, pour qui ces pratiques s’apparenteraient presque à une routine.

Dans son message, la professeure regrette également une devise nationale à géographie variable : «‘Liberté, égalité, fraternité’ leur apprend-on. Pas pour eux. Ces élèves que j’apprécie tant, ces ‘jeunes à casquettes’ que je vois encore comme des enfants sont trop souvent maltraités, humiliés, malmenés par notre République. (…) Je ne supporte plus les regards malveillants qu’ils subissent, ces sommations à devoir se justifier sur chacun de leurs déplacements. Ce sont de véritables assignations à résidence physique, symbolique d’une partie de notre jeunesse, celle des banlieues, celle de nos quartiers populaires. La société leur envoie continuellement le même message : restez chez vous ou ça se passera mal.»

Une circulaire pour interdire les contrôles au faciès lors des sorties scolaires

Un message qui résonne sans peine jusqu’au personnel éducatif, pour qui l’organisation de ces sorties relève du parcours du combattant : «On nous demande d’organiser des sorties avec nos élèves, de leur faire découvrir des musées, de leur permettre d'accéder aux savoirs différemment. Mais celles-ci sont toujours préparées avec une double appréhension : celle liée aux comportements de nos élèves eux-mêmes (faire le moins de bruit possible, être attentifs ; ils doivent surtout ne pas se faire remarquer) et celle liée aux réactions extérieures», déplore encore Elise Boscherel.

L’enseignante lance ainsi un appel à tous les personnels d’éducation pour les inciter à «porter plainte auprès d’un commissariat étranger à l’affaire ou du procureur de la République, de l’IGPN et, en tout état de cause, auprès du Défenseur des Droits, à chaque fois que nos élèves sont discriminés dans le cadre de sorties scolaires». Aussi, la jeune femme réclame l’organisation, chaque année dans les établissements scolaires, d’une journée de lutte contre le racisme à laquelle seraient conviées des associations de lutte contre les contrôles au faciès.

Surtout, Elise Boscherel espère décrocher un rendez-vous avec la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, pour demander qu’une circulaire soit décrétée pour l’interdiction des contrôles au faciès lors des sorties scolaires. Pour l’heure, l’enseignante ne sait pas quelle tournure va prendre l’affaire : «Je ne sais pas encore si nous allons porter plainte. Je l’ai déjà fait à titre personnel, mais le policier qui m’a reçu a dit qu’il ne voulait pas prendre une plainte contre un autre policier, alors même que je suis venue porter plainte contre X. Nous avons contacté un avocat pour nous renseigner sur d’éventuelles démarches à suivre», confie-t-elle. Affaire à suivre, donc ?

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