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Grand Angle

Sineb el Masrar : Rassurer sur l’Islam en Allemagne [Magazine]

Directrice de publication du premier magazine féminin multiculturell en Allemagne, Sineb el Masrar n’est pas seulement une jeune entrepreneuse très active. A l’heure où Thilo Sarrazin, ancien président de la Banque fédérale allemande, attise l’islamophobie, la Germano-Marocaine publie l’essai «Muslim Girls» sur la vie de femmes musulmanes en Allemagne. Elle se bat pour une vision décomplexée sur l’Islam.

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Sineb El Masrar
Temps de lecture: 3'

Toujours innover, réaliser un maximum d’idées. Ce dont Sineb El Masrar, Germano-marocaine vivant à Berlin, rêvait, elle le réalise aujourd’hui dans son magazine féminin, «Gazelle». Pour en arriver là, elle a dû surmonter bien des obstacles, faire des détours, prendre des risques.

Elle a pris exemple sur son père. Originaire de Tanger, il quitte sa ville dans les années 60. Sans contrat d’ouvrier en poche, il s’engage, avec son beau-frère, dans un cirque itinérant italien de passage. Le cirque les amène à Munich en Allemagne, d’où le père de Sineb continue pour s’établir dans la région de Hanovre. En 1979, il épouse la mère de Sineb, également originaire de Tanger.

Les détours de la vie

Hanovre et sa province, c’est là que Sineb, née en 1981, a grandi. Une enfance paisible où elle fait cependant très tôt l’expérience des clivages sociaux. «Notre rue était très typique : les deux côtés de la rue n’étaient séparés que de 15 mètres, mais les couches sociales s’y répartissaient aussi distinctement que les sections d’une administration allemande.» A droite, des immeubles plutôt simples, à gauche, les maisons individuelles avec des jardins soigneusement aménagés. «Et il y avait nous : des Marocains, qui attiraient surtout l’attention par leur voiture verte, une femme portant le voile et une enfant, qui oubliait à tout bout de champ de prévenir ses parents avant de partir en vadrouille», raconte la jeune femme.

Elle était une exception et en a tiré profit. «Quand j’étais petite, je devais souvent expliquer l’Islam et la société marocaine aux parents de mes amis. Je n’avais pas toujours toutes les réponses. Un avantage. J’ai appris tôt à réfléchir sur ces choses et à trouver des informations de manière autonome ou en interrogeant mes parents».

Le parcours de Sineb ne fut pas linéaire et ses origines étrangères y furent pour beaucoup, même si elle ne les met pas en avant. Voulant gagner sa vie le plus tôt possible, elle n’a pas passé le bac, mais postulé pour une formation professionnelle commerciale. Après une autre formation, d’éducatrice cette fois, elle fait face à la discrimination : impossible de poser sa candidature dans les structures éducatives catholiques, pourtant nombreuses en Allemagne. Elles acceptent des enfants de toutes les confessions mais elles n’emploient pas de musulmans ! Elle trouve ailleurs, puis se réoriente à nouveau pour intégrer un institut d’études de marché. Elle fait un autre détour en donnant des cours de cuisine à l’école du soir, pour finalement se lancer dans le journalisme.

«Gazelle», pour diversifier le paysage des magazines féminins

Là, un projet ambitieux germât en elle. «En tant que jeune fille, et, plus tard, jeune femme, je remarquais que la plupart des magazines féminins étaient ennuyeux et que des femmes comme moi n’y apparaissaient que sous une lumière négative. Je voulais changer cela.»

Née ainsi l’idée d’un magazine, dans lequel la société allemande et surtout les femmes seraient représentées dans toute leur diversité, origines étrangères ou pas. En 2006, le premier numéro de «Gazelle» est publié, le «premier magazine féminin multiculturelle d’Allemagne». Il paraît régulièrement depuis mais l’avenir de «Gazelle» reste incertain. Les éventuels investisseurs n’arriveraient pas encore à penser en fonction d’un groupe cible dans un marché multiculturel.

Rassurer le public sur l'Islam

Son magazine et sa position de directrice de publication d’origine étrangère permet à Sineb d’intervenir dans le débat public. Thilo Sarrazin, ancien président de la Banque fédérale allemande, gagne des millions en publiant ses propos amalgamant Islam, immigration et QI. La Réponse de Sineb : «Muslim Girls», un livre publié à l’automne 2010. «Nous voilà. Cette horde de sympathisantes du terrorisme qui, avec leurs maris musulmans, se reproduisent comme des lapins, produisant une fille voilée après l’autre et attendent, sans volonté propre, les ordres de leurs pères, frères et maris pour ensuite traire comme une vache le système social allemand», sont les premiers mots – ironiques et provocateurs - du livre.

Engagée dans le débat allemand, Sineb n’en oublie pas pour autant ses origines marocaines. Elle porte «naturellement» cette double culture. Le Maroc pour elle, c’est «une enfance insouciante, une liberté, des femmes vivantes, l’humour», mais aussi la pauvreté. Des mauvais souvenirs, aussi, avec «une certaine attitude d’attente passive vis-à-vis de la famille vivant à l’étranger. Le pays a beaucoup de potentiel. J’espère que la population le fera valoir de manière intelligente. Pour y parvenir, beaucoup d’hommes et de femmes doivent cependant s’émanciper et se prendre en charge», estime Sineb el Masrar.

Cet article a été publié précédemment dans Yabiladi Mag n°5

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