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Grand Angle

Moudawana : L’égalité réelle ne suit pas l’évolution des mentalités

Selon l’étude réalisée par le ministère de la Famille et de la Femme pour les 10 ans d’application de la Moudawana, les mentalités ont beaucoup évolué et l’idée de l’égalité des droits des époux au sein de la famille est très largement partagée. L’évolution réelle de ces droits est pourtant beaucoup moins nette : les mariages de mineurs progressent, le divorce khôl’ est toujours utilisé, la répartition des biens au moment du divorce ne bénéficie toujours pas aux femmes…

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"Mêmes regards mêmes droits", la campagne de sensaibilisatrion lancee en 2015 par l'association Medias et Culture
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La réforme de la Moudawana fêtait ses 10 ans d’application au Maroc en 2016. Pour son anniversaire, Bassima Hakkaoui ministre de la Famille et de la Femme, l’unique femme du dernier gouvernement islamiste - le PJD s’était violemment opposé à son adoption - a diligenté une étude pour connaître l’opinion que les Marocains en avait, rendue publique en juillet 2016. Elle a été une nouvelle fois présentée au public durant le SIEL qui s’est tenu à Casablanca, la semaine dernière ; l’occasion de rappeler ce constat sans appel : une part majoritaire et de plus en plus importante de la population adhère aux principes égalitaires de la Moudawana, même si une partie encore importante des Marocains reste encore très conservatrice.

60% des personnes enquêtées estiment que la Moudawana a eu un effet positif sur les mentalités et les comportements. 68,8% femmes au foyer, premières concernées, considèrent que l’évolution du Code de la famille a amélioré les relations conjugales. Si un nombre croissant de personnes estime donc que la Moudawana a eu un effet bénéfique, c’est qu’ils sont de plus en plus nombreux à adhérer à ses principes.

La Moudawana a d’abord placé la famille sous la direction commune des deux époux. 80,4% de la population estime que c’est un progrès et 59% se prononce même pour la reconnaissance des mêmes droits et des mêmes devoirs aux deux époux. Une courte majorité certes, mais une majorité qui progresse. Ils n’étaient que 53,4% à penser ainsi en 2009. L’étude révèle aussi, paradoxalement, que le nombre de ceux qui sont nettement opposés à l’égalité homme/femme dans la famille, a également augmenté passant de 32,5% en 2009 à 35% en 2014. Plus surprenant encore, les personnes les plus éduquées sont également les plus nombreuses - 40% - à s’opposer à l’égalité. Pourtant, la société marocaine semble parallèlement prête à aller plus loin en matière d’égalité : 70% d’entre eux sont d’accord avec l’idée d’attribuer aux mères le droit de représenter légalement leurs enfants, alors que ce droit se limite aujourd’hui au père. La société marocaine semble ainsi très partagée sur cette question précise.

La Moudawana a fait évoluer les mentalités

Cependant sur les autres mesures de la Moudawana, les avis convergent vers le respect de la liberté et des droits des femmes. La décision de donner le choix aux femmes majeures de recourir ou non à la tutelle matrimoniale au moment de se marier est de mieux en mieux acceptée. Alors qu’en 2009, la majorité était encore clairement défavorable à cette mesure, 66,2% des personnes interrogées y sont à présent favorable, même si elle reste encore beaucoup comprise comme une atteinte à l’autorité parentale.

L’opinion des Marocains sur l’instauration du divorce pour motif de discorde a également fortement évolué ces 5 dernières années. Si 69,9% d’entre eux y étaient déjà favorable en 2009, ils sont désormais 80,7% à l’approuver. Leur opinion se traduit très concrètement : la discorde est devenue en quelques années le premier motif de divorce au Maroc. Il représente plus de 97% de tous les divorces judiciaires prononcés. Les restrictions apportées par le nouveau Code à la polygamie remportent aujourd’hui 79,9% d’opinions positives contre 77,4% en 2009. Les opinions défavorables sont également en régression.

Concernant la seule et unique mesure concernant le droit successoral - donner la possibilité aux enfants d’une femme d’hériter de sa part lorsque celle-ci décède en même temps que son parent dont elle aurait dû hériter -  88,9% des Marocains pensent qu’elle est bonne. 84% des Marocains estiment également que la possibilité de partager les biens acquis pendant le mariage entre les époux lors de leur divorce est positive, mais plus de la moitie pensent que cette mesure n’a de sens que si la femme avait un emploi rémunéré. Son travail domestique n’est pas considéré comme une véritable contribution par 53% de la population. Même si les conservatismes sont encore forts la dynamique est donc nette.

Communiquer sur la Moudawana

Pourtant, l’évolution progressive des mentalités ne garantit en rien aux femmes le respect de leurs nouveaux droits et une égalité réelle avec les hommes au sein de la famille. Ainsi, rappellent les auteurs de l’étude, le nombre de mariage de mineurs au lieu de diminué a augmenté de 91,6% entre 2004 et 2013, selon les dernières statistiques du ministère de la Justice et des Libertés. Les mariages de mineurs représentent ainsi 11,47% de tous les mariages contractés contre 7,75% en 2004, alors que la Moudawana prétendait les rendre exceptionnels avant de les voir disparaitre.

Par ailleurs, le partage des biens acquis pendant le mariage entre les époux «n’a pas effectivement contribué à préserver les intérêts économiques des femmes. En effet, l’exigence du recours aux règles générales de preuve, en plus de la non prise en considération du travail domestique assumé par l’épouse dans l’évaluation de sa contribution à la fructification des biens familiaux, n’aident pas les femmes à obtenir justice dans ce domaine », reconnaît le rapport.

En parallèle, s’il est depuis 2004 possible de divorcer pour «discorde», le divorce «khôl’» a été maintenu «bien qu’il soit considéré comme discriminatoire à l’égard des femmes et un moyen pour les époux de rançonner leurs épouses avant d’accepter la rupture du lien conjugal», indique le rapport. Si les divorces pour «discorde» forment désormais l’essentiel des divorces, les divorces khôl’ représentent encore 14,85% de tous les divorces judiciaires. «Cela révèle un grand degré d’ignorance des femmes», souligne le rapport.

Il pointe ainsi du doigt à plusieurs reprises la mauvaise communication autour de la Moudawana voire la responsabilité des adouls qui semblent, de l’avis général, ne pas informer les époux de la possibilité de se mettre d’accord sur le mode de gestion des biens à acquérir pendant la relation conjugale pour éviter bien des litiges au moment de la séparation. «Les prêche dans les mosquées sont un outil très efficace dont il faut que l’Etat se saisisse pour dissiper les confusions à propos des nouvelles dispositions du Code de la famille, en expliquant leur conformité avec le référentiel religieux et notamment avec les finalités de l’Islam «maqâssids a-sharî’a». Cela servirait à libérer les mentalités sociales dominées par les interprétations littéralistes restrictives et erronées des textes religieux, et à participer à lutter contre l’extrémisme religieux, instrumentalisant la question féminine qui porte atteinte à l’image de l’Islam», souligne les auteurs de l’étude.

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