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Grand Angle

Maître Abdelhak Benabdeljalil : Un héritage et une famille qui s’entredéchire [3/3]

Avocat, mécène, diplomate, ami du feu le roi Hassan II ou encore confident de plusieurs personnalités politiques et artistique, Yabiladi revient dans une série de trois volets sur l’histoire d’Abdelhak Benabdeljalil, son vécu, le bras de fer qu’oppose sa famille au Barreau de Casablanca ainsi que les problèmes intrafamiliaux. Dans ce troisième et dernier volet, l’histoire d’une famille «spoliée» qui s’entredéchire.

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Maître Abdelhak Benabdeljalil. / Ph. DR
Temps de lecture: 5'

L'opacité qui entoure feu maître Abdelhak Benabdeljalil ne règne pas que sur sa vie professionnelle, notamment sur son cabinet ; le flou plane aussi sur sa succession. Après le décès du père, le 12 mars 1999 à Casablanca, la famille a hérité quelques sociétés et la dizaine de problèmes qui va avec. D’abord, un trésor qui réclame une dizaine de millions de dirhams d’impôts et un inventaire de la succession qui urge. Aujourd’hui, le fils, Mohamed Othman accuse sa mère et sa sœur de l’avoir «spolié» et d’avoir «détourné plusieurs biens immobiliers». Les deux femmes de la famille Benabdeljalil, elles, se défendent en accusant le fils de «spoliation» et «mauvaise gestion» des sociétés dont il est l’administrateur.

Nous sommes au lendemain des funérailles. La famille est partagée entre le chagrin et les problèmes qui doivent être rapidement réglés. Mohamed Othman, alors étudiant en France, signe une procuration à sa mère Amina El Fayache Benabdeljalil, qui doit gérer quelques sociétés civiles immobilières (SCI) et faire face à l’absence d’un inventaire de la succession de feu Abdelhak Benabdeljalil. Bien avant les problèmes qui vont découler de cette procuration, la famille fait face à ce qui semble se dessiner comme une affaire de spoliation immobilière.

Affaire Picmar : spoliation ou manque d’information ?

En effet, l’avocat était propriétaire d’un tiers des actions d’une SCI, au nom de Picmar, qui détient des terrains immobiliers situés à Bouznika. Au lendemain de son décès, ses héritiers apprennent que l’entreprise Picmar est en passe d’être liquidée. «Mon père possèdait 33% de cette société immobilière. Aujourd’hui, c’est l’actuel Hay Othman, soit 12 hectares et plus de 500 lots de terrain, mais on nous a tout pris», nous confie le cadet de la famille Benabdeljalil. Sa sœur Aicha préfère parler d’une «tentative de spoliation» : «On n’est pas allé en justice pour réclamer nos droits», nous précise-t-elle.

Une situation qui s’explique par le bras de fer opposant les Benabdeljalil aux avocats du Barreau de Casablanca. Selon les trois membres de la famille, plusieurs hommes de loi se sont emparés de ce dossier avant de se désister.

Nous avons donc approché un avocat du Barreau de la capitale économique, qui a déjà consulté ce dossier, pour avoir plus d’explications. «Picmar est une entreprise en liquidation judiciaire depuis 2003 ou 2004 jusqu’à aujourd’hui. Un syndic suit cette affaire depuis sa nomination par le tribunal. Dans le rapport final de cette affaire, il y a un déficit, et donc rien à partager», nous rapporte-t-il. «Il y avait des lotissements qui ont été vendus par les associés, dont Me Benabdeljalil, et il ne reste plus rien», poursuit l’avocat.

«Si la famille dit qu’elle n’a jamais bénéficié de ces ventes, les documents montrent que celles-ci datent du temps où l’avocat Benabdeljalil était encore vivant. Or il y a eu une arnaque et des gens chargés de la vente des parcelles ont été poursuivis et reconnus coupables par la cour d’appel de Casablanca dans le cadre d’un dossier pénal qui date de 1998. La famille est même au courant. Détournement de fonds ? Falsification de documents ? On ne sait pas.»

Pour Mohamed Othman, sa mère et sa sœur sont des «spoliatrices»

Mais la famille est aujourd’hui concentrée sur un tout autre sujet. Mohamed Othman, Aicha et leur mère, Amina El Fayach, s’accusent aujourd’hui mutuellement de spoliation. Le fils va même jusqu’à les suspecter d’avoir détourné la succession de son père à son insu.

«Mon père avait des terrains sur Anfa, des appartements. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai rien touché de tout ça. Dernièrement, même pour les terrains dont on dispose, ma mère et ma sœur ont essayé de les mettre à leur nom en 2015 avec une fausse procuration», soutient Mohamed Othman. A l’origine de ces problèmes familiaux, la procuration signée en 1999. «Trois jours seulement après le décès de mon père, on m’a forcé à signer la procuration qui est à la base du détournement de succession. J'ai finalement accepté de signer ce document avec comme condition non négociable l'interdiction de vendre des biens immobiliers.»

Maître Abdelhak Benabdeljalil avec l'auteur-compositeur et interprète américain Stevie Wonder. / Ph. DR

Une procuration qu’il affirme avoir révoquée cinq ans plus tard, soit en 2004. Sa mère gérait d’ailleurs les entreprises pendant cette période. «Alors que les montants des sommes reçues par ma mère sont importants (plusieurs millions de dirhams), je n'ai jamais reçu de compte-rendu de son mandat de gestion ni de comptabilité de sa gestion de mandat, et encore moins reçu cet argent au point que je me suis retrouvé sans argent et expulsé de mon appartement à Rennes», poursuit-il.

Que reproche-t-il à sa mère et sa sœur qu’il accuse de «spoliatrices» ? «Ma mère a fait une assemblée générale et des PV pour liquider deux SCI et a fait une annonce légale dans [le quotidien] ‘Le Matin du Sahara’. Elle a aussi signé un désistement avec une fausse procuration à l’ANAPEC quant à un procès devant le tribunal», nous répond-t-il.

Pour Aicha et Mme Benabdeljalil, Mohamed Othman est un «voleur»

Des accusations qu’Aicha et sa maman réfutent. Celles-ci pointent du doigt l’actuelle «mauvaise gestion des SCI» : «Il n’a jamais révoqué la procuration. C’est ma mère qui s’occupe de tout jusqu’à dernièrement», nous affirme la sœur aînée de Mohamed Othman, qui donne aussi une toute autre version de l’histoire.

«On ne savait pas que mon père avait des SCI. Quelques jours après son décès, les impôts sont venus nous réclamer une somme colossale. J’ai démissionné de mon poste en France et je suis revenue pour gérer ce dossier. On était ruiné à cause des impôts, d’autant qu’ils ont saisi nos biens immobiliers», rapporte-t-elle. Elle poursuit : «Une saisie sur bien c’est une double peine puisqu’on vous prend votre argent, on vous vide vos comptes, on bloque tous les loyers et vos locataires payeront le trésor public.» Pour Aicha, ce sont «presque 3 millions de dirhams» saisis.

Maître Abdelhak Benabdeljalil avec la chanteuse marocaine Samira Said. / Ph. DR

Avec sa mère, les deux femmes affirment que c’est grâce à elles que les arriérés ont été payés et que le dossier de l’ANAPEC s’est soldé par une solution à l’amiable. «Tout cela et mon frère n’a rien fait. Il n’a jamais travaillé et actuellement, c’est lui qui en profite et pompe les comptes pour aller se payer des vacances», accuse-t-elle. Et de conclure : «En 18 ans je n’ai jamais eu un dividende ni une assemblée générale. J’ai essayé de demander des comptes par huissier de justice et par mon avocat à maintes reprises. Je ne les ai jamais vus alors que lui, il prend du cash pour le mettre dans son compte personnel et d’un point de vue comptable, cela ne peut pas être justifié».

De son côté, Amina El Fayache Benabdeljalil se justifie quant aux accusations de son fils de vouloir liquider deux SCI et d’avoir signé un désistement par une fausse procuration. Elle nous déclare que son fils est «un garçon qui ne fait rien et qui commence à devenir fou». «Il est administrateur mais ne gère rien. Il n’augmente pas les loyers, il ne fait pas de travaux. Il ne fait rien», déclare-t-elle, en nous faisant savoir que cela fera presque deux ans qu’elle ne l’a pas vu.

«Il nous vole. Il refuse de faire des quittances aux locataires et ne paye jamais les impôts et le comble, c’est qu’il nous traite de voleuses. J’ai tout vendu et il ne me donne aucun dirham. Je n’ai plus rien. Il nous bloque l’argent sachant que c’est moi qui ai passé des années pour régler les problèmes d’impôts, faire des bilans et payer des avocats.»

La maman et sa fille avance qu’elles ne sont pas au courant de la révocation du contrat. Mohamed Othman, lui, insiste sur le fait qu’il a entrepris toutes les démarches et promet même une assemblée générale prochainement pour distribuer les dividendes. En attendant, si le cadet de la famille déclare avoir déposé une plainte contre sa mère, au Maroc et en France, pour faux et usages de faux, Aicha et Amina El Fayache nous rapportent aussi avoir porté plainte pour abus de bien social. Les juges, eux, auront du pain sur la planche pour trancher cette affaire…

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