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Grand Angle

Au Maroc, une militante pour la prévention contre le sida arrêtée pour port de préservatifs

La loi peut être sujette à de multiples interprétations. A Marrakech, les membres de l’Association de lutte contre le sida bataillent régulièrement pour ne pas être interpellées si elles possèdent sur elles des préservatifs dans le cadre de leurs actions de prévention.

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Au Maroc, il est possible de se faire arrêter si vous avez un préservatif sur vous. / Ph. DR
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L’une des membres de l’association de lutte contre le sida (ALCS) à Marrakech a été arrêtée le 18 février parce qu’elle était en train de distribuer des préservatifs à des prostituées dans le cadre d’un projet de prévention de proximité auprès des femmes. Ce n’est pas la première fois que ces arrestations surviennent.

La directrice de la section locale de l’ALCS raconte : «Nous avons passé un week-end horrible pour régler cette situation. Ce n’est pas la première fois que ça nous arrive». «Nous essayons au maximum de prévenir ces jeunes femmes des dangers qu’elles encourent en ayant des rapports non protégés, mais étant donné qu’elles ont peur de la police, elles ne veulent pas avoir des préservatifs sur elles», explique Mouna Badil. Lorsque les intervenantes de l’association se dirigent vers ces femmes-là, celles-ci ont souvent tendance à prendre la fuite. «Elles se trouvaient dans un quartier connu pour être un lieu de racolage», indique une encadrante du projet de prévention.

La femme qui a été arrêtée samedi livre quant à elle sa version des faits : «J’étais avec les deux jeunes femmes quand un policier habillé en civil s’est arrêté. Je lui ai directement montré l’ordre de mission cacheté par l’association et ma carte nationale», dit-elle. «Il a commencé à m’insulter, n’a rien voulu entendre et a fouillé mon sac.» Le policier les aurait ensuite embarquées au commissariat et, par la suite, a laissé l’intervenante partir avant de la placer en liberté provisoire. Motif de l’interpellation ? «Incitation à la débauche», selon les dires de l’encadrante. «Tu distribues des préservatifs donc tu incites les filles à se prostituer», raconte-t-elle, outrée par son face-à-face avec le policier.

Dans le code pénal, l’article 498 énonce que «toute personne est punie de l’emprisonnement de un an à cinq ans et d’une amende de 5 000 à 1 million de dirhams, à moins que le fait ne constitue une infraction plus grave, quiconque aide, assiste ou protège la prostitution d'autrui ou le racolage en vue de la prostitution d'autrui».

Les avis divergent sur la question

Saida Kouzzi, juriste et associée de l’association Mra, à Rabat, nous éclaire : «L’article 498 doit être à l’origine de ces arrestations». Elle ajoute que «si tu as un préservatif et que tu le distribues, tu encourages la prostitution». Pour elle, il s’agit là d’une pratique très courante. Femmes et hommes peuvent en faire l’objet. «Il existe une ambigüité sur cette question juridique, donc les policiers l’interprètent comme ils le souhaitent», précise la juriste. En revanche, c’est un autre son de cloche qui émane de la police. Un responsable de la préfecture de police de Marrakech contacté par Yabiladi explique :

«Avoir un préservatif sur soi ne constitue pas un motif d’arrestation. Le seul motif pour l’interpellation peut être l’incitation à la débauche. C’est une liberté personnelle, en aucun cas nous ne pouvons arrêter les gens pour ça.»

Le travail de l’ALCS, fondée en 2003, est approuvé par le ministère. «Nous avons une convention avec le ministère de la Justice. Ils nous envoient les préservatifs pour qu’on puisse les distribuer gratuitement et mener notre action sur le terrain», explique Mouna Badil. Pourtant, l’association lutte depuis des années contre les arrestations. Certaines actions ont été menées pour sensibiliser les forces de l’ordre à leur projet, notamment. «Nous souffrons des arrestations depuis des années. Le souci, c’est que ça nous freine dans notre travail. Nous sommes obligés de suspendre nos actions de temps en temps, surtout lorsqu’il y a une vague d’interpellations par la police, puisque les prostituées ne veulent pas nous parler», déplore-t-elle.

L’intervenante de l’association raconte encore : «Les professionnelles du sexe constituent une population très vulnérable. Il est très difficile de gagner leur confiance. Oui, la police fait son travail, mais elle doit parfois faire preuve de compréhension en évitant d’arrêter les membres de l’association pour des préservatifs, par exemple.»

Article modifié le 2017/02/21 à 15h33

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