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Des poèmes morisques prouvant la résilience de la culture arabo-musulmane sous l'Espagne catholique

Faisant face à des pressions pour abandonner l’islam et la culture arabe et se convertir au christianisme, la vie des Morisques d'Espagne n’avait pas été facile avant la fin de la campagne d’évangélisation et d’expulsion menée par le roi d’Espagne Philippe III. Mais alors que tout le monde affirme qu’ils avaient fini par s’intégrer dans la nouvelle société espagnole de confession chrétienne, de nouveaux poèmes rédigés en arabe dialectal et découverts par Carmen Barcelo et Ana Labarta viennent réfuter cette version de l’histoire. Détails. 

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Les poèmes découverts avaient été composés en arabe dialectal et datent du 16ème siècle. / Ph. 20 Minutes
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Les Morisques d'Espagne sont une population musulmane ayant choisi, après la chute d’Al-Andalus en 1492, de se convertir au christianisme pour rester en Espagne. Les historiens situent leur pays natals dans plusieurs régions du pays ibérique, comme Grenade ou encore Valence, où ils s’installent dès le 15ème siècle. Mais en 1609, ils sont contraints d’abandonner leurs terres et quitter l’Espagne suite à un décret promulgué par le roi Philippe III.

Un drame qui ne prendra fin qu’en 1628, avec l’accession au trône de Philippe IV. Ce dernier mettra fin à la politique d’expulsion en déclarant que les Morisques pouvaient même revenir de l’exil. Ce n’est d’ailleurs pas la première injustice à leur encontre. En choisissant de rester dans une zone hostile, les Morisques devaient faire face à une large campagne d’évangélisation, les obligeant aussi de se séparer de leur culture arabo-musulmane.

Même après la chute d'Al-Andalus, l’arabe dialectal était utilisé par les Morisques

Alors que des versions de l’histoire soulignent que les monarques espagnols avaient réussi à éradiquer l’islam à cette époque, d’autres pointent du doigt l’échec de l’évangélisation. Une dernière version qui vient d’être soutenue par de nouvelles découvertes faites par Carmen Barcelo et Ana Labarta. Les deux enseignantes-chercheuses, spécialistes des études arabes et islamiques de l'Université de Valence, viennent de découvrir, traduire et publier 168 poèmes, composés en arabe dialectal et datant du 16ème siècle. Une découverte d’une importance capitale pour les historiens, rapporte la version espagnole de 20 Minutes.

Ces poèmes confirment, en effet, que cette minorité avait produit des textes sur l’amour, les légendes, la religion et sur les faits contemporains, en utilisant la langue de ses ancêtres, plusieurs années après la chute d’Al-Andalus et la campagne d’évangélisation.

Une fresque murale à la chapelle royale en Grenade, montrant la conversion de musulmans en 1501. / DR

L'importance du travail des deux chercheuses de l'Université, qui ont passé plus de 40 ans à étudier la langue arabe et la culture musulmane, est de reconnaître la place importante qu’occupait la littérature en arabe dialectal en Espagne jusqu'au début du 17ème siècle. Un travail qui prend de l’ampleur avec la survie et la découverte de ces vieux poèmes. «Bien que nous savions que la communauté valencienne mauresque a utilisé l’arabe dialectal comme langage quotidien, ces poèmes démentent l'idée que cette population était une minorité réprimée, ayant vécu une vie brutale et qui avait perdu sa culture», déclare Ana Labarta. 

Après la découverte des textes, les deux chercheuses ont rencontré beaucoup de difficulté lors de la transcription. Dans de nombreux cas, il s’agissait de poèmes écrits à la dictée, avec des mots reliés entre eux. Ana Labarta et Carmen Barcelo soutiennent la thèse selon laquelle ces compositions avaient été chantées en public. 

Des poèmes sur la religion, l'amour et les événements contemporains

Une partie des recherches développées par les deux professeures de l'Université de Valence a été publiée dans le livre Cancionero Morisco, publié en 2016. Il s’agit d’un groupe formé d’un seul corpus poétique. Mais la plupart des poèmes découverts traitent différentes thématiques. Certains sont plutôt religieux, d’autres évoquent l'amour, les légendes, et même des prophètes de l'Ancien et du Nouveau Testament. On y trouve aussi des poèmes relatant des événements contemporains, tels que le siège de Rhodes par les Turcs en 1522 ou encore l’expédition de Charles Quint contre Alger en 1541. 

Embarquement des Morisques de Valence, un tableau de Pere Oromig. / DR

Le corps principal de la recherche des deux enseignantes s’est composé de 56 poèmes, copiés d’un seul codex de 180 folios et conservés dans la Bibliothèque historique de l'Université de Valence. 

D'ailleurs, les deux chercheurs ont retracé les documents conservés jusqu’aux Archives nationales à Madrid, aux archives de l'Université de Pampelune et aux archives historiques de Malaga. Des aubaines pour les deux chercheuses puisque ces archives contiennent plusieurs livres et autres matériaux qui datent de la célèbre «Inquisition». «Avec l'expulsion ratée, les Morisques de Valence parlaient un arabe dialectal, ce qui nous a forcé de déduire des documents eux-mêmes le sens et la structure des poèmes», souligne Ana Labarta. Jusqu'à présent, les écrits connus des Morisques de Valence étaient sous forme de lettres, notes d'affaires ou prescriptions, entre autres. Ces nouvelles recherches permettront de reconnaître le patrimoine culturel des Morisques de Valence du 16ème siècle.

L'enquête des deux professeurs est particulièrement importante pour Valence puisque la majorité de cette population y était installée. L'expulsion avait touché entre 120.000 et 130.000 personnes sur une population d'environ 400.000, indique l’historien Albert de Circourt dans son ouvrage «Histoire des Mores mudejares et des Morisques» (éditions G.A. Dentu, 1846). Des milliers de Morisques avaient été tués dans des affrontements précédant le refoulement alors que d’autres ont été assassinés près des ports alors que leurs enfants avaient été enlevés.

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