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Grand Angle

La société marocaine menacée d'anomie par nos usages des réseaux sociaux [Edito]

Il est une évidence que la société marocaine, comme toute société, est traversée en son sein de haine et de rejet de l'autre. Les réseaux sociaux sont très vite devenus le lieu de cristalisation de ces reflux risquant un jour de déclencher une spirale de haine "in real life".

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Les Lions de l'Atlas ont répondu de la plus belle manière au propo du chroniqueur de Luxeradio, en battant le Togo 3 à 1 / Ph. L'Equipe
Temps de lecture: 3'

Les digues de ce pays kaléidoscope ont, bon an mal an, résisté jusqu'ici. On savait mais on faisait comme si. Dans cette culture où on préfère préserver le climat apaisé quitte à se bercer d'illusions, on tait les maux qui rongent cette tradition affichée de tolérance.

Mais le ressac du tsunami réactionnaire qui emporte certains pays d'Occident, arrive sur nos côtes. En l'espace de quelques semaines ont aura assisté à l'apologie du terrorisme suite à l'assassinat de l'ambassadeur russe en Turquie ainsi que des propos nauséabonds sur les Marocaines mortes ou blessées lors de la fusillade dans une boîte de nuit à Istanbul. Des médias et journalistes se sont laissés emportés par ce tourbillon de haine décomplexée.

D'un autre ordre mais participant au même mouvement de stigmatisation, un chroniqueur de Luxeradio se présentant comme journaliste a lancé quelques heures avant le match Maroc-Togo, un hashtag appelant à l'exclusion des binationaux de l'équipe nationale. Celui qui est aussi enseignant en sciences économiques, sociales et politiques, et qui devraient donc prôner la méritocratie à ses élèves appellent ni plus ni moins à la discrimination en fonction d'une origine. Les critères sportifs ? Pourquoi s'encombrer d'arguments lorsque caresser les passions est si facile pour récolter des fav et des like sur les réseaux sociaux.

Plus inquiétant, ce même "influenceur" n'est pas un novice en matière de propos incitant à la haine, et nos compatriotes à l'étranger sont loin d'être la seule communauté ciblée. L'antenne de Luxeradio et surtout son compte Twitter font office de tribunes.

La marocanité à géométrie variable ?

La caisse de résonance des médias sociaux est devenue inquiétante dans la banalisation de cette haine qui auparavant demeurait tapie dans l'intimité d'une partie de la société. Facebook, Twitter ou Youtube opèrent comme un révélateur, à l'image du précipité en chimie. Des propos punis par la loi récoltent des cascades de pouces levés. Comprenez dès lors que certains s'enivrent de cette illusion de pouvoir que nous donnent les milliers de followers. Nous sommes des millions de rédacteurs en chef sans aucune prise de conscience de la responsabilité que nous avons.

Mais j'en veux moins aux citoyens lambda qui dérapent par inconscience, qu'aux journalistes dont c'est le métier de peser les mots tout en s'attachant aux faits, aux instituteurs et professeurs dont on attend de servir de modèle à nos enfants et bien évidemment aux médias qui offrent une tribune aux propos haineux ou pire qui en font leur ligne éditoriale pour être payés au clic.

Nous médias, catalyseurs de ce suicide collectif

Drivé par les réseaux sociaux, notre paysage médiatique patine depuis de nombreuses années dans les marécages boueux du buzz. La superficialité et le divertissement comme mots d'ordre, on passe de l'approximation au scandaleux, de l'insignifiant au scabreux, sans oublier la moquerie. On se souvient à ce titre de l'incompréhensible délire né sur les réseaux sociaux et relayé par certains médias et "leaders d'opinion", de la tenue vestimentaire (pantalon visible sous le caftan) d'une actrice au Festival du film de Marrakech 2016.

Notre responsabilité est entière. Si les médias et journalistes n'ont eux-même aucune éthique ni aucune déontologie, ne nous étonnons pas de voir l'essence que nous versons chaque jour sur nos lecteurs, s'embraser et finir en incendie incontrôlable.

Si après toutes ces explications, certains lecteurs restent persuadés que la haine est une opinion légitime, permettez cette démonstration par l'absurde pour aller dans votre sens. A l'image du régime Gluten free, acceptons l'appel à une sélection de football zmag free, une équipe olympique d'athétisme black free, des cafés women free, un monde artistique "bouzebal" free, un monde associatif "kilimini" free. Que restera-t-il de ce Maroc ? Lorsqu'au sein d'une nation le vent de l'exclusion se lève, la tempête de haine ne laissera qu'un pays en ruine.

Article modifié le 2017/01/22 à 01h53

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