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Grand Angle

Ce que cache la « Burqa » au Maroc [Edito]

L’information a fait l’effet d’une bombe : les agents du ministère de l’Intérieur ont notifié aux fabriquants/commerçants de «burqa» (comprendre voile intégral) d’en cesser la distribution et la vente sous 48 heures. Comment lire cette décision non annoncée officiellement qui, en l’espace de quelques heures, a marqué de profondes lignes de fractures au sein de la société marocaine ?

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Les agents du ministère de l’Intérieur ont notifié aux fabriquants/commerçants de « burqa » (comprendre voile intégral) d’en cesser la distribution et la vente sous 48 heures. / DR
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Combien de fabricants, revendeurs de «burqa» au Maroc ? Le chiffre doit très certainement tendre vers zéro, puisque ce vêtement originaire d’Afghanistan n’est porté quasiment par aucune femme au Maroc. En réalité, le terme en arabe «burqa» (البرقع) inscrit dans le document des agents du ministère de l’Intérieur sert d’appellation générique pour l’ensemble des voiles intégraux.

Pour endiguer la propagation de ces «niqabs», les autorités n’ont pas adopté une nouvelle loi sur le code vestimentaire dans l’espace public, mais se contentent de traiter la question en amont : fabrication et commercialisation.

Comment comprendre cet assaut surprenant sur des commerçants en dehors de tout cadre légal connu ? Aucun article de loi n’est d’ailleurs mentionné dans le document en possession des agents du ministère de l’Intérieur. La légitimité juridique est d’autant plus fragile que la décision administrative n’est aucunement motivée.

Délit d’habits étrangers

Face à ce coup de force surprenant de l’appareil administratif, les critiques ont fusé, venant d’un groupe hétérogène rassemblant figures islamistes et un certain nombre de militants progressistes. D’autres, au contraire, saluent une décision qui constitue la première grande mesure pour endiguer le «péril islamiste».

Si le débat entre les «pour» et les «contre» est animé, les arguments demeurent parfois obscures. On invoque l’origine étrangère de ce voile oubliant rapidement que le jean, le costume, la jupe et même notre traditionnel caftan ont des origines étrangères. «Aucune liberté pour les ennemis de la liberté», clament ensuite les anti-islamistes ; «l’Etat n’a pas à intervenir dans le code vestimentaire des citoyens», répliquent les autres.

Si l’espace public doit en effet rester un espace de liberté, il y a pourtant des exceptions qui légitiment l’intervention de la force publique : trouble à l’ordre public, maintien de la sécurité publique. En effet, dans un contexte marqué par le risque terroriste, il pourrait tout à fait être légitime d’interdire la dissimulation du visage dans l’espace public pour des raisons de sécurité. Encore faut-il que cette interdiction soit votée au Parlement et non improvisée par le ministère de l’Intérieur sans concertation.

Nous sommes les cobayes

Cette opération coup de poing rendue publique mais sans annonce officielle semble en réalité tenir du ballon d’essai. Le ministère de l’Intérieur peut ainsi jauger les résistances à une future réglementation interdisant le voile intégral dans l’espace public sans prendre trop de risques. En effet, si la polémique enfle, il sera très facile pour lui de revenir sur une annonce qui reste encore très floue. Si le moment est propice, il poussera très probablement un projet de loi pour qu’il soit voté au Parlement, afin d’interdire non seulement la fabrication et la vente du voile intégral, mais aussi la dissimulation du visage dans l’espace public.

Quelque soit l’issue de ce test inédit, le ministère de l’Intérieur en sortira renforcé, endossant l’habit du héros de l’anti-islamisme tout en créant de profondes lignes de fractures dans la société et particulièrement au sein des associations progressistes. Pour certains militants, les idéaux démocratiques ne pèsent plus beaucoup face au «péril islamiste», préférant abandonner un peu de libertés pour un peu plus de sentiment de sécurité.

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