Quelles conséquences économiques les révolutions arabes ont-elles eu sur le Maroc ?
D’une part, les échanges entre les pays arabes sont très faibles et donc l’impact des révolutions sur les échanges du Maroc n’est pas très important. D’autre part, la Tunisie et l’Egypte exportent peu de capitaux vers le Maroc. Seul l’impact par les flux migratoires pourrait être significatif, surtout dans le cas de la Libye. Le Maroc a une forte communauté dans ce pays. Si un quart seulement de cette population revient au Maroc, cela poserait de sérieux problèmes car des milliers de familles vivent ici grâce aux transferts d’argent venus de Libye. De plus, il resterait à trouver de nouveaux emplois au Maroc pour cette population active.
Peut-il exister des effets indirects positifs ou négatifs sur l’économie marocaine à travers notamment les flux touristiques à destination des pays du Maghreb ?
Il n’y a pas eu réellement de transfert des flux touristiques à destination de l’Egypte et la Tunisie vers le Maroc. La confiance, le sentiment de sécurité - plus psychologique qu’autre chose, d’ailleurs - est capital dans des secteurs comme le tourisme. Or le Maroc n’offre pas l’image d’un «havre de paix» à côté de dangereux «foyers de subversion», même si sa situation n’est pas comparable sur ce plan à celle de ses voisins. Je crois qu’il est illusoire et dérisoire de croire que nous pourrions gagner au malheur de nos voisins. Le Maroc n’est pas une exception, nous sommes dans la mêlée. Notre pays partage les conditions objectives qui ont mené aux révolutions dans les autres pays arabes : l’existence d’une jeunesse marginalisée, frustrée et désœuvrée, la crise économique, la mal gouvernance (autocratie, népotisme, corruption,...).
Les récentes mesures économiques prises par le gouvernement sont-elles une réponse efficace aux difficultés du Maroc ?
C’est le traitement du cancer par l’aspirine ! Ces mesures sont non seulement dérisoires et démagogiques mais elles peuvent même aggraver la situation. Augmenter le budget de la Caisse de Compensation de 15 milliards de dirhams, c’est faramineux quand on sait que ce fonds représente déjà près de 4% du PIB et plus de la moitié des investissements du budget général de l’Etat. C’est consternant quand on sait que pour l’essentiel, les dépenses de cette «caisse» profitent surtout aux riches et très peu aux pauvres qui le méritent vraiment. C’est encore révoltant quand on sait que les impôts qui financent ces dépenses sont à leur tour largement supportés par les couches populaires à travers les multiples taxes à la consommation et l’impôt sur les revenus salariaux.
Je suis économiste mais je suis convaincu que la première réforme économique dont le Maroc ait besoin aujourd’hui est d’ordre politique. Il faut un système politique qui permette l’émergence de programmes économiques négociés avec la population qui obtiennent la légitimité des urnes et soient mis en œuvre par un exécutif comptable devant le peuple.
Le dernier discours du Roi correspond-t-il à la réformes que vous appelez de vos vœux ?
Ce que nous avons entendu est un discours qui prend acte potentiellement d’un certain nombre de revendications. En cela il va indéniablement dans le bon sens, mais l’essentiel reste à faire. Le discours offre un «contenant» mais au-delà, ce qui compte c’est le contenu et du contenu concret.
Par exemple, le Roi a annoncé un renforcement du pouvoir du gouvernement. Très bien, mais quid du Conseil des ministres ? Aujourd’hui aucun projet de loi ne peut aller au parlement sans surmonter le «verrou» du Conseil des ministres, dont la réunion dépend de la seule volonté du Roi et de son agenda. Si ce Conseil reste en l’état, qu’est ce qui aura réellement changé ?
Renforcer l’indépendance de la justice ? Très bien. Concrètement, est ce que le Conseil supérieur de la magistrature va être présidé par un juge élu par ses pairs ou continuera-t-il à être présidé par le Roi ? Par ailleurs, l’élargissement annoncé des libertés individuelles – à commencer par la liberté de culte - doit être inscrit explicitement dans le texte de la Constitution, sans quoi il sera impossible de les protéger dans les faits.
Dans un discours, ce que l’on ne dit pas est au moins aussi important que ce que l’on dit... Le Roi a rappelé les «fondamentaux» du Maroc en citant l’Islam comme religion d’Etat, l’intégrité territoriale... Est-ce à dire que ceux qui aspirent à la séparation de l’Etat et de la religion n’ont encore une fois aucune chance de s’exprimer, d’être entendus ?
Supposons que la réforme politique annoncée se concrétise en ce sens, quelles sont les réformes économiques à faire en tout premier lieu ?
Dans les conditions du Maroc d’aujourd’hui, les bonnes réformes ne sont que des réformes de simple bon sens. Prenez la fiscalité, elle pèse lourdement sur la classe moyenne et accentue les inégalités au lieu de les atténuer, alors que chacun sait que c’est la classe moyenne qui constitue le socle de la croissance économique, fondée sur l’élargissement du marché intérieur et l’accroissement de la demande globale.
Plus grave, depuis 40 ans les gouvernements n’ont cessé de mobiliser toutes les ressources du pays pour promouvoir un modèle de croissance tiré par les exportations. Ils ont notamment, au cours des quinze dernières années, signé une quantité impressionnante d’accords de libre échange, pour finir aujourd’hui par s’apercevoir que le résultat est catastrophique puisque, au moment où nos partenaires tirent le maximum des concessions que nous leur avons accordées, nous, nous en sommes incapables pour la simple raison que nous n’avons pas grand chose à exporter ! Au bout du compte, le commerce extérieur aujourd’hui plombe la croissance du Maroc au lieu de la promouvoir.
Avec le discours du Roi, les investisseurs marocains vont-ils reprendre leurs activités après cette période de flottement et d’expectative ?
Le message transmis est a priori positif, mais les investisseurs ne se décident pas à partir des discours. L’investissement est un «climat», notamment de confiance, et un climat de confiance ne se décrète pas. L’annonce du Roi amorce un contexte qui peut s’avérer plus favorable, mais si les choses ne se concrétisent pas rapidement, l’effet pourrait être encore plus désastreux que ce que l’on connaît actuellement car il n’y a rien de pire que la déception. Il faut que le système change et se stabilise rapidement par la suite, car l’investissement est un acte de foi.
Cet article a été publié dans Yabiladi Mag n°5