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Grand Angle

Politique migratoire au Maroc : L’essentiel reste à faire

L’annonce royale d’une nouvelle opération exceptionnelle de régularisation ne résoudra qu’une partie des difficultés rencontrées par les immigrés au Maroc. Loi sur l'immigration, droit d'asile, territorialisation du cadre règlementaire pour les migrants régularisés, implication des ONG, autant de défis qui se présentent pour un pays qui s'est engagé dans une politique migratoire inédite sur le continent.

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«On a l’impression d’avoir tout fait alors pourquoi la souffrance continue ?» s’est interrogée Tatiana Romon, chargée des programmes de droits de l'Homme, de gouvernance et de migration à la Délégation de l’Union européenne à Rabat. Elle était invitée par la Coopération Suisse le 29 novembre à débattre à Rabat de la protection des migrants et des réfugiés à l’occasion de la visite d’Andréa Huber, Chef suppléant de l’Aide humanitaire suisse alors en visite au Maroc. Débat presque prémonitoire au regard de l’annonce, seulement 15 jours plus tard, d’une deuxième période de régularisation exceptionnelle alors que la nouvelle politique migratoire semblait au point mort.

Le roi, en prenant cette décision à l’issue de son voyage en Afrique de l’Est a répondu à l’une des préoccupations majeures des intervenants rassemblés ce soir de novembre : quel sort réserver aux personnes non régularisées ? «Nous avons toujours soutenu, contre l’avis du ministère de l’Intérieur, qu’un grand nombre de migrants n’avait pas été touché par la campagne de régularisation et n’avait pas soumis de demande», nous rappelait lundi 12 décembre Mehdi Alioua, chercheur à l’UIR et spécialiste des migrations au Maroc.

S'appuyer sur les associations

Les défis de la nouvelle politique migratoire -qui a tout de même déjà 3 ans- sont cependant beaucoup plus vastes. Le premier sur lequel tout le monde s’accorde est «d’assurer la territorialisation de la stratégie nationale pour améliorer son opérationnalisation», selon les mots d’Ahmed Skim, directeur des Affaires de la migration au ministère des MRE et des Affaires de la migration. En d’autres termes, la stratégie nationale d’immigration et d’asile adoptée en décembre 2014 doit parvenir à toucher directement les migrants. «On pensait qu’en faisant sauter le frein règlementaire, cela suffirait, mais non. C’est pour cela que nous avons besoin aujourd’hui des associations comme intermédiaires entre les institutions et les migrants», explique Ahmed Skim.

Certaines formations professionnelles financées par l’Union européenne sont offertes par des associations, pourtant elles ne font pas toutes salle comble. «Les freins se situent peut-être également du côté des migrants en raison, par exemple, du manque-à-gagner immédiat que représente les formations que nous proposons», soulève Tatiana Romon. Eric William, membre de l’association de migrants Alecma, conforte cette idée :

«Toutes les formations professionnelles sont souvent identiques, alors que nous aurions plutôt besoin de formations en alternance en entreprises.»

Pour lui, cependant, le problème est ailleurs : si tous les nouveaux droits ouverts aux étrangers de façon explicite ne soulagent pas l’existence des migrants, c’est que le message passe mal au sein même des différentes institutions publiques marocaines.

«Au niveau local on a le sentiment que la politique nationale est refaite chaque jour par chaque personne, résume Eric William. Dans les centres de santé, on a encore l’impression que l’accès au soin dépend de l’humeur de la personne que l’on a en face de soi et pas des droits ouverts légalement. Dans l’éducation, les écoles sont ouvertes, mais des associations de parents d’élèves peuvent refuser l’inscription d’un enfant arbitrairement.»

Assouplir la loi sur l'immigration

«Notre soutien se porte plutôt aux autorités marocaines [au niveau national et ministériel, ndlr] dans le cadre d’un chantier règlementaire compliqué, reconnaît Tatiana Romon. Par exemple, pour ouvrir le Ramed [assurance santé accordées presque gratuitement aux plus démunis, ndlr] aux immigrés, il faut d’abord déterminer des critères d’éligibilité en fonction de la vulnérabilité des individus, réaliser une étude épidémiologique…» De fait, le ministère des Affaires de la migration et celui de la Santé envisagent l’ouverture du Ramed aux étrangers vulnérables depuis deux ans sans y parvenir.

Tout le chantier règlementaire, présenté comme une priorité, est, en fait, au point mort. En mars 2014, le ministère des Affaires de la Migrations avait publié les ébauches des trois projets de lois annoncées dès l’automne 2013 : la loi sur l’asile, celle sur l’immigration et celle sur la traite des êtres humains. La loi sur la traite a passé le cap de l’adoption en Conseil de gouvernement le 30 avril 2015. Depuis, rien n’a avancé.

La situation actuelle du HCR est un exemple édifiant du résultat produit par le retard de la nouvelle législation. «Depuis la fin de l’opération exceptionnelle de régularisation, le HCR connaît une afflux exceptionnel de demandes d’asile infondées. Nous rejetons près de 80% des demandes d’asiles des non-Syriens. Les gens cherchent auprès de nous l’opportunité de régulariser leur situation, raconte Jean-Paul Cavaliéri représentant du HCR à Rabat L’adoption de la loi sur l’immigration, un peu plus souple que l’actuelle, qui ménage des possibilités d’être régularisé, régulerait le nombre de demandes d’asile qui nous sont faites.» La nouvelle opération de régularisation, parce qu’elle doit être aussi exceptionnelle que la première, ne répondra en effet que très ponctuellement aux besoins des étrangers dont la situation administrative est délicate.

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