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Grand Angle

Sarah Zouak, la Franco-marocaine qui met en lumière les féministes musulmanes

Sarah Zouak est à l'origine d'une série-documentaire consacrée à des femmes musulmanes et féministes originaires de cinq pays, du Maroc jusqu'à l'Iran. Elle veut leur donner l'occasion de s'exprimer sur leur foi et leur engagement, qu'elles jugent parfaitement compatibles. Portrait.

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Sarah Zouak est à l'origine de la série documentaire intitulée « Women SenseTour in Muslim Countries », qui brosse le portrait de 25 musulmanes et féministes. / Ph. Clique TV
Temps de lecture: 3'

Féminisme et islam peuvent-ils faire bon ménage ? Que diable écrivons-nous là ! On entend déjà les féministes en Occident, en butte à toute ingérence religieuse, crier à l'imposture. A rebours des analyses parfois (souvent ?) ethnocentrées de ses consœurs de l'hémisphère nord, Sarah Zouak, 27 ans, propose de lever le voile sur ces musulmanes, femmes avant tout, qui ont choisi de porter la voix du changement dans cinq pays : le Maroc, l'Indonésie, l'Iran, la Tunisie et la Turquie.

De cette série documentaire intitulée Women SenseTour in Muslim Countries, qui brosse le portrait de 25 militantes, est récemment sorti le premier épisode, tourné au Maroc. Ce dernier voit notamment passer Asma Lamrabet, directrice du Centre d’études et de recherches féminines en islam (CERFI) ou encore Nora Belahcen Fitzgerald, fondatrice de l'association Amal pour les arts culinaires, qui initie et forme les Marocaines issues de milieux défavorisés aux secrets de la gastronomie, d'après La Croix. Le quotidien vient en effet de publier un long portrait de Sarah Zouak, qui tient ses origines du royaume chérifien. «Pourquoi ces femmes si nombreuses qui vivent sereinement leur foi et leur engagement n’apparaissent-elles jamais à la télé, ni dans les livres, au contraire de celles opprimées, dépourvues de libre-arbitre ?», s'interroge-t-elle.

Bye bye paternalisme

C'est ce point d'interrogation qui a donné le coup d'envoi de son projet, auquel s'est greffée la création, en avril 2016, de l’association Lallab. Sa mission ? Faire barrage aux préjugés visant les musulmanes et inviter les femmes à devenir actrices de leur vie. Le 14 septembre dernier, la famille de la presse en ligne s'est également agrandie avec la sortie d'un magazine pour donner, ou plutôt rendre la parole à celles qu'on entend que trop rarement. «On ne cesse de parler des musulmanes dans les médias, mais on leur donne rarement l'occasion de s'exprimer. C’est comme si tous ces hommes politiques savaient mieux que nous comment nous devions mener notre vie. C’est une attitude complètement paternaliste», juge l'initiatrice du magazine, qui accole volontiers à l'entrepreneuriat un volet humain.

C'est que la jeune femme se définit comme une entrepreneuse sociale. «Je suis une femme française et marocaine. Je suis une entrepreneuse sociale, réalisatrice de documentaires, et féministe, confie-t-elle lors d'une interview à Clique TV. Cela veut dire que j’ai fondé une entreprise qui a vocation à répondre à des problématiques sociales. Les entrepreneurs sociaux peuvent par exemple s’occuper des thématiques environnementales ou sociétales, précise-t-elle. Personnellement, c’est sur le droit des femmes que je travaille dans le cadre de mon action avec Lallab. Le but ici est de sortir du fonctionnement associatif, et pouvoir s’autofinancer avec un vrai business-model.»

Islamophobie sans complexe

Pourquoi donc un tel remue-ménage dans le cocktail déjà très agité du débat (sans fin) sur l'islam et, en l'occurrence, ses ramifications féministes ? Car le combat, estime Sarah Zouak, est aujourd'hui plus que jamais nécessaire. «Quand je fais des ateliers de sensibilisation dans les lycées, je demande aux élèves d’inscrire sur un bout de papier à quoi ils pensent quand on leur dit 'musulmane’. Les réponses de ces ados de 15 ans sont souvent assez choquantes : elles sont ‘soumises’, ‘oppressées’, ‘elles nous provoquent’, ‘elles devraient rentrer chez elles’», témoigne-t-elle. Une concorde sociale mise à rude épreuve cet été, la saison estivale 2016 ayant été jalonnée de sorties médiatiques à brûle-pourpoint sur le burkini. Mais encore : «Chaque jour, on a droit à une nouvelle histoire pour nous diviser. Laurence Rossignol, la ministre des droits des femmes, qui compare les musulmanes aux nègres. Ou encore les propos de Manuel Valls qui s’intéresse au féminisme seulement lorsqu’il est question de voile», énumère Sarah Zouak.

«L’objectif premier est ainsi de déconstruire les préjugés sur les femmes musulmanes, constamment représentées comme des femmes soumises, oppressées et victimes mais aussi de susciter l’inspiration pour que chaque femme devienne actrice de sa propre vie. L’idée était de faire de ces femmes des sources d’inspiration pour toutes et tous», explique-t-elle encore à Médiapart. Sa série documentaire, réalisée sur cinq mois, «débute par une quête personnelle, un besoin viscéral de me battre contre ce récit unique que l’on ne cesse d’entendre sur les femmes musulmanes. Diplômée d’un Master en école de commerce et d’un Master en Relations Internationales, je n’avais jamais touché une caméra avant d’entamer mon voyage.»

Pourtant, l'envie de sillonner cinq pays musulmans «très différents les uns des autres et pourtant fantasmés comme un bloc homogène» dépasse de loin les obstacles matériels. Vingt-quatre heures de formation et quelques tutoriels plus tard, la voilà fin prête, accompagnée de son amie Justine Devillaine, à tendre le micro aux femmes musulmanes, qu'elles soient Marocaines, Tunisiennes, Indonésiennes, Turques ou Iraniennes. Aujourd'hui, Sarah Zouak a le cuir tanné, mais aurait préféré l'avoir eu plus tôt :

«Rencontrer tous ces modèles de femmes musulmanes féministes que l’on ne m’a jamais montrés m’a permis de réaliser que je pouvais être moi-même et vivre pleinement et sereinement mes différentes identités sans laisser les autres définir qui je suis. Ces documentaires que je réalise, c’est un peu les films que j’aurais aimé voir à 12 ans : cela m’aurait permis d’éviter des années de questionnements et de doutes.»

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