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Grand Angle

Utilisation des armes de service : Entre les nouvelles instructions de la DGSN et les réactions des ONG

Suite au décès de deux «délinquants» tombés sous les balles de la police à Béni Mellal et Salé, les conditions du recours aux armes de service sont plus que jamais sous les feux de l'actualité. Ce vendredi, la DGSN a adressé de nouvelles instructions aux policiers. De leur côté, les associations des droits de l'homme estiment que cette pratique constitue une atteinte au droit à la vie.

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Photo d'illustration. / DR
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C'est un constat qui n'a échappé à personne : les policiers marocains ont de plus en plus recours à leurs armes de service lors de l’arrestation de criminels et de récidivistes. Une réalité illustrée notamment par les deux derniers communiqués de presse de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN). Récemment, une patrouille des motards s'est rendue, à la demande des citoyens, dans le quartier Errahma à Salé pour y interpeller un «multirécidiviste», selon la DGSN. L’individu était poursuivi pour vol qualifié, tentatives multiples d’homicides volontaires, tentative de viol et trafic de drogue.

Selon la version officielle, le prévenu était «dans un état second et portait un sabre avec lequel il a causé des dégâts matériels aux biens d’autrui et exposait la vie et les biens des citoyens au danger». Refusant de se débarrasser de son sabre, et menaçant un élément de la police, un policier possédant le grade de gardien de la paix, en fonction à la brigade motocycliste du district préfectoral de la police de Salé, a fini par sortir son arme et tirer. Bilan : deux balles de sommation puis une troisième qui a touché le prévenu à la poitrine.

La mise au point de la DGSN adressée aux éléments de la police

L'homme a finalement rendu l’âme à l’hôpital, après son transfert en urgence, tout comme un autre citoyen de Béni Mellal, le 18 novembre dernier. Ce dernier n’était pas sous l'effet de psychotropes mais de l'alcool, d'après la version avancée par son père, qui dénonce une «exécution sommaire» de son fils.

Suite à ces deux affaires, la DGSN a souhaité recadrer ses éléments. Ce vendredi, Al Massae rapporte que de nouvelles instructions ont été données aux éléments de la police. «Tout en soulignant la nécessité de traiter avec fermeté les délinquants qui menacent la sûreté et la sécurité des citoyens, l’utilisation des armes de service doit intervenir comme dernier recours», rappelle le bureau dirigé par Abdellatif Hammouchi.

Des instructions qui détaillent les nouvelles conditions d’utilisation des armes de service par les policiers : «Sauf en cas d'attaque terroriste ou de résistance aux autorités, seules les jambes doivent être visées. Les tirs doivent intervenir pour blesser et non pas pour tuer dans les cas d’intervention de la police pour lutter contre les crimes», précise la DGSN. «Les armes de service, employées en dernier recours, doivent être utilisées dans la mesure appropriée et suffisante pour accomplir le devoir et parvenir à la restauration de la sécurité», lit-on encore dans les colonnes d’Al Massae.

Parallèlement, une grande majorité des internautes saluent sur les réseaux sociaux les éléments de la police pour l’usage de leurs armes et les encouragent à répondre à la violence illégale par… une autre forme de violence légale. Mais si le maintien de la sécurité et la protection des citoyens est un devoir, il n'empêche que le tir de balles mortelles sur des délinquants reste une violation de la loi. Qu’en pensent les militants associatifs des droits de l’homme ? Khadija Riyadi, ancienne présidente de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), contactée par Yabiladi, déclare être «complètement contre cet usage d’armes de service».

Une atteinte au droit à la vie selon les associations

«Dans les pays démocratiques où la gestion de la chose publique est transparente, où les services sécuritaires sont contrôlés et où les citoyens sont tous égaux devant la loi, les policiers n'ont souvent pas le droit de faire usage de leurs armes à feu», dit-elle. Celle-ci de s'interroger : «Que dire d’un pays comme le nôtre où il y a une opacité totale, une gouvernance sécuritaire dépassée et rétrograde et où personne n’a le droit de traîner des responsables sécuritaires devant la justice ?»

Khadija Riyadi cite d'ailleurs le cas de Mi Fatiha, cette marchande ambulante qui s’était immolée par le feu en avril dernier en guise de protestation contre son agression par un caïd, qui «avait refusé de se rendre au tribunal. Que dire donc d’un commissaire, d’un officier de police ou du ministère de l’Intérieur ?» «Les personnes à qui on confiera des armes à feu commettront certainement d'autres abus car il y en a déjà eus par le passé. Mais la question qui se pose, c'est de savoir comment les Marocains pourront leur demander des comptes et distinguer ceux qui respectent la loi de ceux qui ne la respectent pas», s'inquiète-t-elle.

L'infatigable militante des droits de l'homme remet aussi en cause «la campagne» menée sur les réseaux sociaux, estimant que si certains citoyens encouragent cette pratique, «qui devient monnaie courante», elle n'en reste pas moins illégitime et injustifiable. «On remarque une généralisation d’une culture de la peur et d'un discours sécuritaire, au point que les citoyens deviennent supporteurs et preneurs de toute décision. On leur proposera n’importe quoi en leur promettant qu’ils seront en sécurité et, à partir de ce moment là, ils accepteront tout», prévient-elle. Khadija Riyadi ne manque pas de rappeler les cas où des policiers marocains ont recouru à leurs armes de service pour menacer ou agresser leurs collègues et même des membres de leurs familles.

Protéger les policiers pour ne pas recourir aux armes à feu

Un avis largement partagé par Ahmed El Hayej, actuel président de l’AMDH. «Le droit à la vie est l’un des droits les plus sacrés. Il faut donc prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection de ce droit. L’utilisation des armes de service par les policiers impose certaines conditions et mesures afin que cela ne se transforme pas en une violation de ce droit», nous dit-il.

Et de poursuivre : «Nous soulignons l’importance de la formation des policiers pour gérer des situations particulières. Ils doivent être équipés afin de parvenir à contrôler d'éventuels délinquants récalcitrants sans faire usage de leurs armes. Envoyer des policiers non formés sur le terrain constitue également une atteinte aux droits de ces fonctionnaires.» Ahmed El Hayej insiste aussi sur le rôle central de la transparence dans les enquêtes menées suite aux décès de délinquants tombés sous les balles de la police marocaine.

Du côté de l’Organisation marocaine des droits de l’homme (OMDH), la question fait l'unanimité. Joint par Yabiladi, Boubker Largo, président de l'Organisation, annonce qu’une réunion se tiendra ce samedi pour discuter de ces récents cas. «Bien évidemment, nous sommes pour le droit à la vie et contre l’utilisation de cette forme de violence. Il faut parallèlement s’assurer que les policiers sont protégés par des outils contre les délinquants et les agresseurs», préconise-t-il.

«Les policiers faisant usage de leur armes dans des situations particulières doivent aussi viser les organes non vitaux, comme les jambes, et non des organes vitaux», rappelle-t-il. Puis de rebondir, lui aussi, sur la transparence : «L’opinion publique a le droit à l’information, c'est pourquoi les enquêtes menées par la DGSN doivent être transparentes et rendues publiques.»

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