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Grand Angle

Services publics à Casablanca : La course au raccordement

Le Programme Inmae mené depuis 2005 par la Lydec pour le compte du ministère de l'Intérieur dans le cadre de l'INDH a atteint en 2016 40% de ses objectifs à 4 ans de son échéance. Il apporte l'eau courante et l'assainissement collectif dans des quartiers vulnérables et informels de la périphérie de Casablanca, mais après ? L'inclusion urbaine de ces quartiers n'a pas été pensée par les pouvoirs publics, tandis que la course au raccordement des nouveaux quartiers et anciens douars ruraux en périphérie ne touche jamais à sa fin.

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(c)DR
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11 ans après le lancement du programme Inmae, à Casablanca, «l’eau potable a été amenée dans 36 158 foyers (41% des objectifs, ndlr) qui bénéficient également du raccordement à l’assainissement collectif », souligne Mohamed Jifer, son directeur. Aujourd’hui, le programme se poursuit à Nouaceur, Dar Bouazza, Aïn Chok, Tit Mellil, Mejjatia Ouled Taleb, dans la province de Mediouna pour 28 907 autres foyers.

En 2004, le Maroc lance le programme Villes sans bidonvilles. En périphérie de Casablanca, des quartiers en dur informels offrent des conditions de vie presque équivalentes aux bidonvilles, sans eau ni assainissement collectif, à une population très vulnérable. «Contrairement aux bidonvilles que l’on trouve plus près du centre-ville, les habitants de ces quartiers ne sont pas issus de l’exode rural. Ils habitaient au centre de Casablanca jusqu’à ce qu’ils veuillent devenir propriétaires. Impossible, vu l’explosion de l’immobilier », explique Aziz Iraki, enseignant chercheur à l’Institut national de l’architecture et de l’urbanisme à Rabat et spécialiste de l’habitat non règlementaire. Ces derniers se dirigent alors dans les années 80 et 90 vers la périphérie où ils achètent sur la base d’actes adoulaires un terrain à construire auprès de propriétaires de terres agricoles qui les vendent sous forme de lotissements rudimentaires. La chose n’est pas règlementaire pour ne pas dire illégale et le quartier n’est donc pas raccordé aux services publics. «Il y a alors une forme d’arrangement entre les acheteurs qui construisent, dans ces conditions, pour moins cher et les pouvoirs publics qui n’ont pas les moyens de construire autant d’habitat social que nécessaire », explique Aziz Iraki.

Dans ce contexte, le wali de Casablanca, Mohammed Kabbaj, décide en 2005 de ne pas raser ces quartiers informels, contrairement aux bidonvilles, mais de les conserver et même de leur apporter l’eau et l’assainissement pour y améliorer les conditions de vie. En 2005, il parvient à convaincre la Lydec d’effectuer le raccordement nécessaire dans le cadre de l’INDH. C’est le programme Inmae. Pour le délégataire, ce sera autant de nouveaux clients.

Plus d’attente interminable pour quelques bidons d’eau

Désormais, à Douar Lemkensa, arrondissement d’Aïn Chok, l’un des premiers quartiers à avoir bénéficié du programme, aucune odeur pestilentielle ne se dégage des rues. Les fosses septiques creusées tant bien que mal sous les maisons ont été remplacées par le tout-à-l’égout.

On ne voit plus, non plus, de maison en rez-de-chaussée, mais seulement de petits immeubles mal ajustés d’un ou deux étages. Un danger potentiel d’effondrement lorsque les constructions sont trop rudimentaires. «Dans quelques rares cas, nous avons refusé de creuser les canalisations de peur de faire s’effondrer une maison», se souvient Ingrid Pechell, chargée de mission à la Direction gestion du contrat INDH Inmae de la Lydec. Sous les effets conjugués de la croissance urbaine de Casablanca et des raccordements, «les gens qui avaient acheté leur terrain à 50 000 dirhams, peuvent le vendre aujourd’hui 10 fois plus cher », estime-t-elle.

A Douar Lemkensa, on ne voit plus les femmes et mêmes les enfants faire la queue pendant des heures pour quelques bidons d’eau potable. L’eau est même moins chère que par le passé. Les femmes des quelques 5 000 foyers raccordés dans le douar ont, désormais, mieux à faire qu’aller à la fontaine publique.

«Entre 2009 et 2011, l’opération battait de l’aile»

Toutes les femmes des 87 000 foyers concernés par le programme n’ont toutefois pas encore ce loisir, car le programme a été très long à démarrer. L’opération de raccordement à Lemkensa a commencé en 2006 et ne s’est ainsi achevée qu’en 2011. «Sur les 75 millions de dirhams nécessaires à cette opération, 3,5 millions de dollars ont été apportés par la Banque mondiale or elle s’est montrée très vigilante sur l’adhésion de la population. Nous avons donc dû développer toute une ingénierie sociale qui était étrangère à la Lydec, jusque-là. Surtout, il a fallu faire valider toutes les listes des bénéficiaires par les représentants locaux de l’Etat. A Lemkensa, elles n’ont été validées que 3 ans après le début de l’opération. Enfin, les constructions n’étant pas règlementaires, les ruelles sont trop étroites pour y placer des machines. Il a fallu creuser la roche à la pioche ; nous n’avancions que de 3 à 10 mètres par jour », raconte Ingrid Pechell.

Pire, «entre 2009 et 2011, l’opération battait même de l’aile, se souvient Aziz Iraki, faute de financement car jamais une opération de raccordement à l’eau et à l’assainissement n’a coûté aussi peu aux habitants». Le raccordement individualisé à l’eau potable n’a, en effet, été facturé que de 2000 dirhams par foyer, soit 9% des frais totaux. La Lydec, en mobilisant à ses frais une équipe d’une cinquantaine de personnes, a couvert 12 % des frais. Le fonds de travaux abondé par les cotisations des promoteurs immobiliers a apporté 19%. Les 59% restant ont dû être trouvés auprès de l’Etat ou d’autres institutions.

Il manque encore 480 millions de dirhams

«Au début, la mobilisation de bailleurs de fonds internationaux a permis d’attirer des fonds au niveau national et local», explique Ingrid Pechell. Ensuite, la dynamique s’est essoufflée. En 2011, les révolutions arabes et la crainte de voir le Maroc aux prises avec la même colère sociale, crée un sursaut. «Après 2011, on a reçu beaucoup de fonds publics, notamment des crédits du Fonds d’équipement communal. Ils ont évité l’arrêt des travaux, se rappelle Ingrid Pechell, actuellement, nous avons seulement les moyens d’anticiper des travaux sur un à deux ans, mais pas au-delà.» Il manque encore 480 millions de dirhams à la Lydec pour boucler la totalité du programme - 1,496 milliards de dirhams - d’ici 2020. Le raccordement de 15 298 foyers, soit 18% du total, dépend de leur mobilisation.

In fine, près de 87 000 ménages auront accédé grâce au programme Inmae aux services publics de première nécessité que son l’eau courante et l’assainissement collectifs, mais après ? «Avec Inmae, on se trouve dans un espace de confrontation entre formel et informel où l’on assure le raccordement des services publics de première nécessité à des quartiers qui vont rester informels où les gens n’auront pas de titre de propriété. Le système est en porte-à-faux. La question foncière ne peut pas être régularisée, alors ce sont les actes adoulaires qui prennent le pas», explique Olivier Toutain, consultant et co-auteur de plusieurs bilans du programme Villes sans bidonville. Les habitants s’en satisfont pour la plupart dans la mesure où ils se sentent confortés dans leur propriété par la reconnaissance publique offerte par le raccordement.

L’action sociale s’arrête là

«Ce programme est très utile localement pour les populations, mais l’action sociale s’arrête là. Il n’y a aucun accompagnement général de la population d’un quartier pour son intégration urbaine complète», souligne Aziz Iraki. Pour lui, comme pour Olivier Toutain ce programme, tout comme l’ensemble des politiques liées à l’habitat social au Maroc, est déconnecté des autres politiques sociales et urbaines. Traiter l’habitat informel et insalubre ce n’est pas traiter la question de la pauvreté, seulement l’une de ses conséquences.

Enfin, quand le programme Inmae sera achevé, tous les habitants de Casablanca n’auront pas pour autant nécessairement accès à l’eau courante et l’assainissement collectif. Il restera peut-être encore quelques quartiers règlementaires non raccordés. L’extension rapide de la ville - 1 à 2 hectares par jour - impose en effet à la Lydec un rythme d’investissement dans les réseaux difficile à soutenir. «Nous subissons une baisse du Fonds de travaux qui doit permettre de financer le raccordement des nouveaux quartiers alors que dans le même temps, les promoteurs construisent de plus en plus loin - parfois à 10km des réseaux existant - parce que les terrain y sont moins chers» , s’inquiète Yann Fajolles, directeur technique de la Lydec, à Casablanca, filiale de Suez Environnement. En 2014, suite au discours du roi Mohammed VI dénonçant la mauvaise gestion de la ville, la Lydec a toutefois mis en place un Plan d’actions prioritaires.

Rattrapage perpétuel d’une urbanisation galopante

Ce plan doit notamment permettre de raccorder «environ 17 000 foyers au réseau d’assainissement public, dont 75% dans le secteur de Dar Bouazza, récemment équipé d’un réseau collectif. Les autres secteurs concernés se situent dans la province de Nouaceur et les préfectures de Mohammedia, Anfa et Aïn Sebaâ-Hay Mohammadi. Les travaux ciblent notamment tous les lotissements existants, habités depuis de nombreuses années et ayant été autorisés pour la plupart avec des dispositifs d’assainissement privés (fosses septiques, etc.)», détaille un communiqué de la Lydec. 12 000 foyers qui utilisent les fontaines publiques et des compteurs collectifs doivent également se voir raccordés individuellement à l’eau potable et disposer d’un compteur individuel. Ils se situent majoritairement dans les préfectures de Sidi Bernoussi et Mohammedia.

Le rattrapage est donc en cours, mais l’on «constate aujourd’hui un nouveau phénomène de douars ruraux qui se densifient», note Olivier Toutain. La vaste périphérie de Casablanca, en perpétuellement expansion, atteint en effet aujourd’hui de petits villages longtemps restés isolés. Or, ils ne disposent généralement pas d’un assainissement public, ni, bien souvent, d’eau courante. Au niveau national, seuls 38,3% des ménages ruraux disposent ainsi de l’eau courante et 2,8% ont accès au réseau public d’assainissement. Dans la métropole, le phénomène de rattrapage des services d’eau et d’assainissement considérés comme essentiel, semble donc ne jamais devoir parvenir à sa fin.

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