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Grand Angle

Au Maroc, la journée mondiale de l'abolition de la peine de mort est passée presque inaperçue

Le monde célébrait lundi la journée mondiale de l'abolition de la peine de mort. Au Maroc, l'occasion est passée presque inaperçue puisque l’opinion publique retenait son souffle en attendant l’annonce de celui qui présidera le gouvernement pour le prochain quinquennat. Même la conférence de presse de la Coalition marocaine contre la peine de mort n’a pas eu d'échos. Pourtant, elles sont 122 personnes condamnées à la peine de mort. Un nombre qui est descendu à 92 suite à la grâce royale au profit de 30 condamnés. Détails.

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Une manifestation de la Coalition marocaine pour l'abolition de la peine de mort, organisée en 2015 devant le Parlement. /DR
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Le 4 mai dernier, deux hommes ont été condamnés par le tribunal d’El Jadida à la peine capitale pour le viol et le meurtre d’une fillette de 7 ans. Il s’agit des plus récentes condamnations à la peine de mort prononcées au Maroc. La société marocaine reste toutefois partagée, entre ceux qui continuent de saluer ce genre de sentence et ceux qui militent pour son abolition. La Coalition marocaine contre la peine de mort et ses membres font partie de cette dernière catégorie, et plaident depuis plusieurs années pour l’abolition de la peine capitale.

Lundi, en célébration de la journée mondiale contre la peine de mort, la coalition organisait une conférence de presse sous le thème «La peine de mort, une guillotine de la justice pénale ». Un rendez-vous qui n’a pas eu l’effet escompté, puisque les Marocains étaient encore enivrés de l’atmosphère post-électorale et spéculaient sur la formation du nouveau gouvernement.

Ces mêmes partis politiques qui ont obtenu les voix de plusieurs millions de Marocains ne s’intéressent que peu à cette cause. Dans leurs programmes politiques, seuls la Fédération de gauche démocratique et l’Union socialiste des forces populaires appellent clairement à l’abolition. Un constat qui dit long sur l'intérêt des partis politiques concernant cette question.

Culture et religion, les jokers des Marocains

Membre de la coalition marocaine contre la peine de mort, l’Observatoire des prisions du Maroc (OPM) nous rappelle ce mardi via son secrétaire général, Abdallah Mouseddad, que la peine est encore prononcée du fait qu’il existe encore des articles du code pénal marocain auxquels les juges font toujours appel. «Seuls les juges ayant compris la notion des droits de l’Homme ne prononcent plus cette sentence», nous affirme-t-il. D’autres appliquent la loi à la lettre à en croire ses propos. Pourquoi l’abolition n’est toujours pas effective ? Abdallah Mouseddad évoque notamment la culture des Marocains et la religion. «Certains disent que les Marocains sont pour la peine de mort alors que d’autres sortent l’argument de la religion et disent que la chariâ appelle à cette peine», nous explique-t-il.

Pour le premier, relatif à l’avis de l’opinion publique, le secrétaire de l’OPM rappelle que la coalition n’arrive toujours pas à toucher un plus grand nombre de Marocains en vue de les sensibiliser. « L’opinion publique ne disposent pas de toutes les données et toutes les vérités sur la peine capitale pour qu’elle puisse changer d’avis », regrette-t-il.

Et il n’a pas tort, nombreux sont les Marocains qui avancent que des criminels et des détenus, dans des affaires de viols sur mineurs ou de crimes familiaux, méritent la guillotine. Une expression qui reste ancrée dans la société marocaine, pour qui, la condamnation reste une vengeance si ce n’est un sort mérité, au lieu d’être une punition.

Mais l’argument de la religion et la chariâ a bon dos. La religion musulmane parle notamment de la repentance et du pardon en cas de meurtre et la Chariâ au Maroc n’est pas littéralement appliquée comme dans d’autres états musulmans. La lapidation ou les mutilations (main tranchée aux voleurs) , par exemple, ne sont pas appliqués au Maroc.

La Coalition pour l’abolition de la peine de mort n’est pas la seule instance appelant à l’abolition. L'Instance équité et réconciliation (IER), à la fin de son mandat, avait recommandé la ratification du deuxième Protocole facultatif du Pacte international des droits civils et politiques, relatif à l’abolition de la peine capitale. Face au code pénal, que certains Marocains qualifient de désuet, la nouvelle Constitution dans son article 22 est venue en 2011 stipuler qu’«il ne peut être porté atteinte à l’intégrité physique ou morale de quiconque, en quelque circonstance que ce soit et par quelque personne que ce soit, privée ou publique ».

Le commissaire Tabit, dernier marocain condamné et exécuté

En cas d’abolition, le Maroc ne sera sans doute pas le seul pays musulman ou à majorité musulmane à faire ce pas. En tête de ces pays, on retrouve la Turquie, qui a aboli depuis 2004 la peine capitale alors que la dernière exécution date de 1984. Le Sénégal compte, lui aussi, parmi les pays abolitionniste depuis décembre 2014 et ne l’a plus pratiqué depuis 1967.

Les pays du Maghreb, eux, prévoient la peine de mort dans leur législation sans toutefois l'appliquer dans les faits. Au Maroc aussi, le moratoire est appliqué de fait depuis 1993. Une date qui coïncide avec l’exécution de l'ex-commissaire Mohamed Mustapha Tabit, condamné à mort en mars 1993.

Arrêté suite à des enregistrements pornographiques en sa possession et qui mettaient en scène plus de 500 femmes et des personnalités de premier ordre, puis condamné en peu de temps, il a été fusillé le 9 août de la même année. Il était accusé d’attentat à la pudeur, de défloration, de viol avec violence, rapt et séquestration d'une femme mariée, en plus d’actes de barbarie et d’incitation à la débauche. Le juge de l’époque n’avait pas hésité à brandir l’article 399 du code pénal. Dans une forêt aux alentours Kénitra, l’exécution avait été confiée à des militaires sous les yeux du président de la Cour pénale, un imam, deux adouls et l’avocat de Tabit.

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