Pouvez-vous nous donner les différentes typologies de soulèvements, révoltes, révolutions qu’a connus le Maroc dans son histoire ?
La contestation violente a toujours existé, au Maroc, comme dans toutes les sociétés. Par contre, les formes qu’elle prend changent selon les époques et sont forcément tributaires d’un contexte. Dans le Maroc précolonial, la contestation a souvent pris la forme d’une siba (dissidence) matée ou pas par les harka (campagnes militaires) du sultan. Pendant les périodes fastes de la monarchie marocaine, bled siba rétrécissait comme peau de chagrin. A l’opposé, en période de crise économique, de disette ou d’occupation étrangère, bled siba grandissait. Cette forme historique de contestation souvent violente (mais pas toujours) reposait la plupart du temps sur des motifs financiers (refus de l’impôt, considéré comme injuste ou excessif) plutôt que sur une négation de l’autorité du sultan.
Ces soulèvements qui revêtaient une forte dimension tribale et régionale ont duré jusqu’au lendemain de l’indépendance. Un des derniers avatars de ces révoltes tribales est peut-être la révolte de Addi Ou Bihi dans le Tafilalet, quelques mois après l’indépendance. Par certains aspects, la guérilla de Abdelkrim Khattabi dans les années 1920, ou même la révolte du Rif en 1958, peuvent également s’apparenter à des vestiges du soulèvement tribal qui, rappelons-le, était un mode presque normal de régulation politique, avant le protectorat.
La contestation politique au Maroc est-elle une marque de fabrique des campagnes révoltées ?
La siba, qui est un phénomène essentiellement rural, ne doit néanmoins pas faire oublier, que l’histoire du Maroc est également parsemée de révoltes urbaines. Ceci était déjà vrai avant le protectorat. L’exemple le plus connu est certainement celui des tanneurs de Fès, une révolte sociale violemment réprimée par le Pouvoir, au début du règne de Hassan Ier.
On peut dire que le nationalisme marocain de l’Istiqlal a contribué à forger, essentiellement dans les villes, une conscience révolutionnaire hostile au protectorat. La contestation politique prend alors une forme plus «moderne», s’apparentant plus ou moins aux théories de la révolution issues de la mère de toutes les révolutions, celle de 1789, en France. La contestation, qui est parfois violente, est alors encadrée par une élite éduquée, une bourgeoisie souvent fassie ou slaouia qui veut libérer le Maroc et son peuple, exactement comme dans le cas de la révolution française, considérée par les marxistes, comme une révolution bourgeoise.
A partir du moment où la monarchie prend le pas sur le mouvement national, la notion de révolution change de sens : les révolutionnaires ne sont plus des résistants à l’oppression du protectorat, mais de dangereux communistes, ou pire, des anarchistes. Il est par ailleurs intéressant de noter que la monarchie a quand même tenté de récupérer une partie de l’idéal révolutionnaire : ne parle-t-on pas de révolution du Roi et du Peuple, pour désigner les violences qui ont mené au retour du sultan Mohammed Ben Youssef exilé à partir de 1953 ?
Que peut-on dire des révoltes sous le règne de Hassan II ?
Il y en a trois qui sortent du lot : les émeutes de Casablanca en mars 1965, quand les manifestations de lycéens, bientôt rejoints par les travailleurs, ont été violemment réprimées par le général Oufkir en personne; en 1981, c’est la baisse des subventions pour plusieurs produits de première nécessité qui met le feu aux poudres, les émeutes touchent Casablanca, Oujda, Nador, Berkane; enfin, on retiendra le soulèvement de Nador en 1984, qui a donné l’occasion à Hassan II de prononcer son fameux discours sur les awbach.
Les coups d’Etat sont-ils à classer dans une catégorie à part ? Ce sont des militaires et pas forcément la population qui se soulèvent.
Je ne pense pas que les putschs de 1971 et 1972 puissent s’apparenter à une révolution, ni même une révolte ou une émeute. Il y manquait la dimension populaire, même si on a pu voir ça et là quelques manifestations de joie au moment où la proclamation de la république a été annoncée par les putschistes.
Cet article a été précédemment publié dans le Yabiladi Mag n°4
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